8-4 Un double regard sur le contenu.

8-4-1 Portraits instantanés.

Les parents livrent ce qu'il leur semble bon de donner à l'enquêteur. Ils se représentent ce dernier comme un étranger, qui s'introduit dans une relation (apprentissage de la lecture et l'enfant) qui n'a pas été forcément réfléchie, hormis peut-être les discussions ou réunions avec l'institutrice. Même si le sujet n'est pas des plus sensibles, s'y intéresser peut être vécu comme une intrusion dans leur rapport entre leur enfant et eux-mêmes. Refuser l'entretien, comme l'ont fait quelques familles, dont les enfants avaient échoué lors de la passation de l'épreuve E 20, c'est montrer une rupture entre l'école et la famille, c'est refuser le regard inquisiteur de la norme scolaire, c'est cacher peut-être quelque chose qui ne doit pas être vu ou entendu. Accepter d'en parler, c'est vouloir exposer librement les pratiques culturelles que l'on trouve légitimes, avouables face à l'étranger représentant tout de même, qu'on le veuille ou non, l'institution scolaire. Chaque silence, chaque hésitation, le décor dans lequel vit l'enfant sont dignes d'intérêt et intraduisibles directement, car transformés par le prisme culturel de celui qui entend et qui voit. Chacun se fait une représentation de l'autre et interprète à sa manière. Comment sommes-nous perçu quand nous pénétrons dans l'univers familial ? Notre présentation, comme enseignant faisant une recherche sur la lecture, peut lever chez certains des doutes, des interrogations quant à leur propre façon d'envisager l'apprentissage de la lecture avec leur enfant. L'essentiel, pour eux, est d'avoir un discours digne d'être présenté. Est-il possible, dans de telles conditions, d'obtenir "la" vérité ? Il ne s'agit pas tant de vérité que, plutôt, de sincérité. Et portés par cette dernière, il est possible d'atteindre leur vérité sociale sur l'apprentissage à l'instant même où on les entretient. Les contradictions, les allers-retours sont autant de signes montrant des prises de positions qui demandent sans doute à évoluer. Les renoncements, les regrets, les questions formulées sont des points d'orgue sollicitant parfois des réponses. Dans ces micro-récits de vie pratique, l'interrogation consiste donc à comprendre plus les enjeux d'une relation et du rapport tissé à l'écrit que les effets mêmes de la scolarisation et des apprentissages scolaires.

Pour montrer cette sincérité du discours, il est essentiel, à notre sens, de retrouver les éléments épars qui ont jalonné cette heure de tête-à-tête avec chacun des parents. Chacun a développé, à sa manière, une logique de discours et on y trouve des lignes de force qui risqueraient d'être noyées si on procédait d'emblée à une analyse des critères. On perdrait l'originalité de leurs propos. En présentant le portrait instantané - c'est-à-dire à un instant T de leur pratique familiale - de chaque famille sous la ligne de force qu'est la sienne, on la situe dans le contexte socioculturel qui est le sien, tout en respectant l'élément conducteur mettant en perspective son discours. En résumé, le portrait, au travers la subjectivité de l'œil du chercheur, donne une âme aux propos du parent. Bien sûr, l'analyse est là pour interpréter chaque signe émis et les estimations des 17 critères retenus ont été traduits pour chacune des familles.