10-2 Méthodes utilisées par les enseignantes.

Par conséquent, pour leur classe, elles ont fait délibérément le choix de leur méthode qui n'a été ordonné ni par les inspections académiques, ni par la direction de l'école. Certains parents (entretiens N°18 et N°24) pensent, en effet, que les méthodes sont imposées par la hiérarchie. Le tableau ci-contre les énumère. On remarque bien une certaine diversité en fonction des aspirations des enseignantes. Deux ouvrages emportent toutefois l'adhésion, Gafi le fantôme et lire au C.P. Les deux enseignantes 279 vues dans le cadre de la pré-enquête, tout en étant dans deux écoles différentes, utilisent quant à elles la méthode feuilleton. Dans l'analyse de chaque entretien 280 , nous verrons comment quelques parents peuvent avoir des représentations erronées à propos de la méthode de lecture employée. En effet, certains diront qu'ils sont contre parce qu'ils la qualifieront de visuelle alors qu'objectivement elle utilise bien les aspects graphophonétiques de la langue. Sans vouloir faire une analyse exhaustive et une critique comparative des méthodes, nous allons néanmoins présenter leurs grandes caractéristiques de façon à avoir un repère objectif (celui des auteurs) qui pourra, le cas échéant, être mis en perspective par rapport aux propos tenus par la famille.

Cette méthode mixte est à départ phonétique. Elle diffère la synthèse. Elle raconte l'histoire de la vie quotidienne de Sophie et Julien. Dès les premières leçons, l'enfant est invité à se constituer un capital-mots à partir de petits textes, mais, très rapidement, dès la leçon quatre, l'accent est mis sur le rapport phonographique, en prenant l'étude de la première lettre, a. L'un des principes directeurs est de mettre en place chez l'enfant un comportement de lecteur, dans le prolongement des actions entreprises à l'école maternelle ; c'est aussi de lui donner le goût de la lecture, de l’aider à découvrir le plaisir qu'elle procure, de les convaincre de son utilité et d'acquérir les connaissances et les techniques nécessaires pour bien lire 282 .

C'est à partir des deux héros de la bande dessinée, que les auteurs ont créé une méthode. On peut la considérer comme mixte, avec un progression graphique. Un travail de globalisation s'opère sur la phrase et les mots ; vient ensuite l'étude des grapho-phonèmes. Dans un premier temps, les supports diapositives et les leçons de langage au départ de chaque leçon invitent l'enfant à rentrer dans l'univers de l'histoire contée. La trace sonore du texte racontée et, le support des vignettes de la B.D. lui permettent de s'approprier l'histoire ou la saynète, par le texte écrit. Les fiches sur lesquelles les enfants réinvestissent les éléments du code portent notamment sur le repérage de graphèmes, les signes de ponctuation, les syllabes, et les mots.

Elle présente de façon humoristique tout au long de l'année les aventures d'un petit fantôme. Sept principes fondamentaux fondent les choix méthodologiques des auteurs : avant de commencer l'apprentissage méthodique de la lecture, l'enfant doit apprendre à explorer le langage écrit et oral ; l'enseignement de la lecture doit nécessairement prendre en compte une approche progressive de la correspondance entre les sons du langage et les lettres qui les traduisent ; l'identification automatique des mots est une condition nécessaire mais non suffisante pour devenir un bon lecteur ; la prise en compte du contexte, ainsi que la conscience implicite des relations syntaxiques liant les mots entre eux contribuent à l'évidence à construire le sens des phrases et des textes ; les textes proposés doivent être intéressants, drôles, variés, ils doivent aussi suivre l'évolution des capacités de décodage de l'enfant ; pluridisciplinaire par essence, la lecture exige un apprentissage fonctionnellement diversifié, ouvrant à une compétence polyvalente ; l'enseignement de la lecture s'adresse à des enfants qui effectuent chacun leur parcours d'apprentissage à un rythme propre et souvent selon des modalités distinctes. Comme on peut le constater, cette méthode prend en compte rapidement les éléments phonographiques de la langue, tout en demandant à l'enfant de faire du sens à partir des textes lus. Il est amené à lire dans un livre, sur des affiches, et à écrire sur un livret prévu à cet effet.

Elle se présente comme une méthode interactive d’apprentissage de la lecture. Pour les auteurs l’interactivité, c’est comprendre et décoder, entrer dans le système écrit et la culture écrite, s’approprier de vraies situations de communication écrite et enfin maîtriser les mécanismes de la lecture-écriture. C’est à partir de quatre romans que l’enfant découvre au fil de l’année, les éléments de la langue écrite. On remarque, contrairement aux autres méthodes décrites succinctement ici, que l’analyse grapho-phonologique ne guide pas directement la progression annuelle. D’ailleurs, dans les fichiers de l’enfant, tous les exercices s’y rattachant se trouvent à la fin. Tous les autres prennent en compte davantage le sens même de l’histoire et la mise en mémoire d’un capital-mots. "Menant de concert, dès le début du C.P., l'étude des quatre niveaux linguistiques de l'écrit : le texte, la phrase, le mot, le phonogramme. C'est pourquoi elle propose en même temps la lecture découverte de vrais textes et un travail systématique sur le code grapho-phonétique"284 . Même si les auteurs ne font pas fi de la dimension phonographique en la développant comme une des bases de la compréhension de notre langue écrite, il n’en demeure pas moins qu’avec la présentation de ses supports pédagogiques et ses modalités de fonctionnement, la méthode s’apparente à une méthode feuilleton.

Celle-ci établit sa progression sur trois textes d'auteurs intégrés à même les deux livres dont l'enfant se servira pendant l'année scolaire. Après l'épisode de quelques lignes, des exercices nombreux et variés sont proposés. Deux grands principes, étayés par huit étapes, assurent le socle théorique de cette méthode. Le premier, construire du sens, est partagé en quatre, expression orale avec émission d'hypothèses sur le sens du texte à lire, lecture du texte de base, constitution d'un capital-mots, découverte du fonctionnement de la langue par de la manipulation de structures simples. La seconde s'oriente vers l'étude du code par l'étude de la relation graphophonétique, le travail de retranscription calligraphique, la construction de syllabes et de mots et enfin le réinvestissement des acquis pour la lecture d'un texte. Comme le disent les auteurs "au rythme d'un ouvrage tous les deux mois, ces romans écrits et illustrés par des spécialistes de la littérature de jeunesse plongeront les enfants dans des univers différents, tantôt réels, tantôt imaginaires"286 Il s'agit donc de susciter le plaisir de lire, de développer la culture textuelle et de mieux gérer l'hétérogénéité en proposant, des lectures de dépassement. Tout en intégrant le sens du texte, l'analyse phonique est rapidement présente ; dès la page 6 du livret, l'enfant doit colorier les dessins où l'on entend /a/.

En résumé, mis à part la méthode MIKA qui attache peut-être une importance moindre à la découverte phonographologique, elles ont comme prérogatives fondamentales de faire découvrir le sens des textes, quels qu'ils soient, et d'apporter aux enfants un bagage minimum quant à la connaissance du code. Toutes, avec des supports extrêmement différents, invitent à la construction du sens. Elles s'inscrivent dans une conception théorique analytique, dans la mesure où l'enfant doit travailler dans la déconstruction et reconstitution de mots. Les plus récentes l'invitent à rechercher des indices visuels sur le texte, à anticiper, à construire des inférences (texte-image) ; en cela, en y ajoutant un travail régulier, progressif et spécifique sur le code, elles s'apparentent quelque peu à la conception idéo-visuelle 287 .

On constate ainsi que les enseignantes ont toutes, pour point de départ, une méthode de lecture s'appuyant sur un manuel dans lequel chacune puise la vérification des acquis en terme de lecture orientée vers la construction du sens, mais aussi l'évaluation de l'habileté à discriminer lettres et syllabes. On peut, à l'instar de FIJALKOW (1991a, b), chercher à les classer sous trois types ; "les enseignantes dites classiques288 paraissent avoir une représentation centrée sur le code, les novateurs, une représentation centrée sur le sens et le groupe mixte, des représentations variés"289 . Celles qui ont été rencontrées ne s'apparentent pas au type 1, classique, mais plutôt au type 2 et au type 3 où, par exemple la lecture à haute voix ne va pas seulement servir à la vérification mais à la communication de résultats.

Les trois types de base
Aspects de l'écrit privilégié Indices utilisés Activité psychologique principale
TYPE 1
Lettre => syllabe => mot
0 Analyse - synthèse
TYPE 2
Mot entier
Forme graphique globale Reconnaissance visuelle
TYPE 3
Contexte de mot de phrase, de texte, texte antérieur
Tous Anticipation du sens

Seuls, les premiers enseignants dans le cadre de la pré-enquête (école A et B) s'échappent du recours au code d'une façon pratiquement systématique et s'apparentent, de fait, au type 3 pratiquant la voie directe (FOUCAMBERT, 1998), évitant ainsi le passage par le code.

Notes
279.

Elles ne figurent pas dans le tableau précédent.

280.

Dans la quatrième et la cinquième parties.

281.

DEBLAYE (J.), TOUYAROT (M.),GIRIBONE (Cl.),VITALI (D.) .- Méthode de lecture, Lire au CP.-, Nathan, 1990

282.

Op. Cit. page 3.

283.

.- Gafi le fantôme, méthode de lecture, cycle des apprentissage fondamentaux, 2éme année, guide du maître.- CP Nathan page 15- 20.

284.

CHAUVEAU (G.), DE SANTI - GAUD (C.), USSEGLIO (M.) .- MIKA Méthode interactive d'apprentissage de la lecture .- livre du maître, NATHAN Diffusion, RETZ Scolaire, page 5.

285.

FABRE (E. et D.) .- ABRACADALIRE, méthode de lecture.- HATIER, Tours janvier 1996.

286.

Op. Cit. page 5.

287.

Cf. chapitre 5.

288.

En italique et non souligné dans le texte.

289.

VERGNAUD (G.) .-Apprentissages et didactiques, où en est-on ?.- Hachette Education, 1994, page 30.

290.

Op. Cit. page 30.