Il fallut attendre quarante-cinq minutes dans la cage d'escalier pour que l'entretien se fasse ; madame Aulme avait oublié le rendez-vous. Elle vit ici dans cet appartement H.L.M. en location, avec les trois plus jeunes de ses enfants. Les deux autres, plus grands, sont placés en famille d'accueil et suivis dans le cadre d'une A.E.M.O.. Elle prend le temps de déposer les achats qu'elle a effectués et l'entretien peut se dérouler autour de l'unique table servant probablement aux repas ; quatre à cinq gros volumes de l'encyclopédie "TOUT L'UNIVERS" reconnaissables à leur reliure rouge cohabitent avec une petite pile de magazines "Femmes Actuelles" près du banc sur lequel nous nous sommes assis. Adriana s'installe sur une chaise à côté de sa mère, avec un cahier d'écolier acheté récemment. L’interrompant parfois dans son propos, elle écrit des mots pendant pratiquement tout l'entretien. Bérénice, la petite sœur de cinq ans, s'occupe tantôt avec les jeux vidéo, tantôt à gribouiller également sur un cahier d'écriture. Lauriane, la petite dernière (1 an), quant à elle, n'est pas présente.
Les contradictions et les non-dits s'égrainent tout le long des propos de madame Aulme. Elle fait tout pour montrer l’image la plus acceptable mais son discours est-il vraiment en cohérence avec ses actes ? L'enseignante confirmera ces craintes. Cette maman a une personnalité hors du commun. Les cinq enfants sont issus de pères différents et les fils aînés, jumeaux, sont placés dans une famille d'accueil, d'où ils reviennent une fois par quinzaine et pendant les vacances scolaires. Ce qu'elle ne dit pas et que l'enseignante dévoilera, c'est que la petite Adriana est suivie dans le cadre d'une A.E.M.O. 317 par un éducateur et était, jusqu'au début de la grande section, placée en famille d'accueil. Dans un tel contexte familial, cette maman confie ce qui lui semble le plus avouable et correspondant le mieux à la norme, quitte à dire des banalités ou à modifier son propre vécu familial pour qu'il soit perçu comme l'image d'une famille qui fonctionne bien malgré son histoire. La mère n'a peut être pas directement des démêlés avec la justice mais, lorsque l'enseignante raconte comment les gendarmes se sont introduits dans l'école pour pouvoir simplement la rencontrer pour l'interroger sur les activités plus ou moins légales de son compagnon de l'époque, l’attitude de la mère dénote un comportement fuyant. "Je n'ai pas eu de trop mauvais rapport avec la maman" dira l'enseignante, mais des discussions qu'elle eut avec l'éducateur, on retiendra tout de même une relation manquant quelque peu de netteté : "je pense que c'est flagrant pour l'éducateur, Adriana perçoit toutes les faiblesses de sa mère et puis la mère, c'est quand même une magouillarde, sûrement que ce papa qui faisait des coups, je ne suis pas étonné que la police l'ait interrogée. L'éducateur l'a dit, il est très méfiant, elle le baratine, elle est hyper intelligente cette femme, mais très baratineuse". Dans un tel contexte, les propos de madame Aulme doivent être accueillis avec prudence. De même lorsque l'enseignante ajoute que le "petit bébé est tombé deux fois de la baignoire [.....] et y'avait des brûlures de fer à repasser", l'inquiétude persiste et l'hypothèse de violence est tout à fait plausible. Enfin, elle confiera avec certitude : "elle a une agressivité et ce sont les enfants qui trinquent et se serait centrée sur une enfant en particulier".
Malgré cette instabilité familiale, l'apprentissage de la lecture se construit petit à petit, non sans problème, comme le souligne la mère et l'enseignante. Adriana a des possibilités, "elle est toute droite et on s'est dit : ça compte d'avoir été mise en famille d'accueil [...] Cette famille d'accueil a fait un boulot extraordinaire avec cette enfant, d'amour et d'entourage" 318 . Connaissant cela, il faut prendre conscience que les estimations qui vont suivre pour les gestes de médiation ne prennent en compte que les deux années de vie familiale partagée avec la mère, puisqu’auparavant l'enfant était en famille d'accueil.
Entretien N°45
l'Aide Educative en Milieu Ouvert est un suivi éducatif comme son nom l'indique par un éducateur spécialisé qui veille entre autre à la protection de l'enfance. Il y a deux styles de suivi, soit dans le cadre d'une AEMO judiciaire suite à un signalement d'enfant en dangers soit dans le cadre d'une AEMO administrative suite à une demande parentale via l'assistance sociale pour aider la famille et l'enfant à un moment difficile à passer.
Propos tenus par l'enseignante.