Geste 6 et geste 7

Tout au long de la description des gestes, l'enfant accède à la lecture par le prisme scolaire qu'est l'apprentissage formel. On ne lui donne pas les moyens d'appréhender le plaisir du livre autrement. Madame Bonne ne décontextualise pas l'apprentissage de la lecture en offrant la possibilité à son enfant de vivre l'écrit en dehors de cet apprentissage. Il n'y a donc pas d'enthousiasme à l'acte lexique et l'enfant peut vivre son redoublement comme un ancrage négatif vis à vis de ce dernier. Elle pense que "c'est important de lire et de s'intéresser aux choses". Elle ne demande pas non plus "à ce qu'il lise un livre par jour mais qu'il s'intéresse un peu à la lecture" parce qu'en fait " ça ne peut que l'aider dans son travail à venir". L'apprentissage n'est pas pour aujourd'hui, dans l'ici et le maintenant, mais dans une perspective d'avenir très lointain. Le lien avec le quotidien ne se construit pas. Elle dit qu'on apprend beaucoup de choses avec le journal et les magazines, mais ne met pas en pratique ; la famille n'a ni journal, ni revues.

Au terme de son redoublement de C.P., Alexandre a bien acquis les savoir-faire lectoraux, mais on peut craindre qu'ils restent vides de sens s'ils ne sont pas décontextualisés du registre scolaire. Les structures de projet de sens implicites de la famille sont bien orientées vers une alphabétisation, c'est à dire une connaissance du code. Elles ne sont pas orientées vers un habitus lectoral qui prend ses racines dans le contexte familial dans lequel évolue l'enfant.

Il est peut-être réel qu’il a traversé un moment de handicap par sa surdité, évoquée par la mère. Cependant, le graphique et l'analyse de chaque geste montrent bien que celle-ci - puisque le père semble absent du contexte de développement cognitif de l'enfant - ne met pas en place les conditions d'élaboration de l'apprentissage de l'acte lexique. Elle a bien une tendance "conformiste" 326 , dans la mesure où elle délègue au pouvoir enseignant les prérogatives scolaires. De plus, elle a une attitude attentiste, en se fiant à la progression de la maturité de l'enfant, sans réellement prendre les moyens de la stimuler. Elle ne comprend pas qu'elle a une place essentielle, avec son mari, dans le développement de l'acte lexique de son enfant. Alors qu'il existe des magazines pour les moins de deux ans, à lire par les parents bien entendu, elle pensait sans doute que l’enfant allait découvrir son pomme d'api tout seul : "c'est pareil, c'est moi qui étais obligée de lui faire découvrir le livre, car il ne prenait pas [...] c'était moi qui étais obligée de lui faire découvrir, il n'était pas trop motivé pour le lire tout seul".

Notes
326.

Cf. tableau reprenant la typologie des différentes tendances chapitre 3 TOME I