13-2 La famille ROMEL 343 . L'apprentissage de la lecture est de la responsabilité entière de l'école.

‘"Moi, je dis que, y'a des maîtresses qui sont là pour."’

Lorsque madame ROMEL ouvrit la porte d'entrée de son appartement après qu'on eût sonné, elle fut surprise de nous voir. Elle avait oublié l'entretien et, malgré notre proposition de revenir plus tard, insista pour que l'entretien se fît une bonne fois pour toutes, pour qu'on en parlât plus par la suite. Il se déroula dans la cuisine, en présence d'une autre jeune femme, qui ne dit rien. L'accueil fut plutôt froid et l'intérêt de continuer un entretien dans de telles conditions se posa à plusieurs reprises.

Le discours de la mère est fuyant, les réponses courtes, il faut faire vite pour ne pas déranger. Après avoir vérifié que sa machine à laver, placée dans l'entrée de l'appartement, fonctionne bien, elle vient tout de même s'asseoir, autour de la petite table de Formica de la cuisine, près de son amie, toujours silencieuse. Pour cette mère, il faut aller à l'école parce que c'est obligatoire, et il n'y pas d'autres raisons plus convaincantes et profondes de sa part. Son manque de coopération aux questions posées montre manifestement qu'elle ne trouve pas d'intérêt à ce genre d'entretien. Les questions concernant l'écrit la dérangent et nous sentons que nous sommes à la limite de la rupture de communication. Elle répond parce qu'elle se sent obligée de répondre. Les invites à approfondir les réponses données semblent la dépasser. Un peu plus tard, un jeune homme viendra nous rejoindre. Après nous avoir salué rapidement, il se fera un café ; c'est un habitué de la maison, il connaît bien la cuisine où sont rangées les affaires. Malgré cela, l'entretien continue, ponctué des injonctions de la mère à ce jeune homme qui peut être son frère ; on n'en saura rien. Le comportement de cette mère peut s'expliquer par le paradoxe de la situation. Aux yeux de l'institution scolaire, elle ne peut pas se défausser par rapport à l'entretien avec lequel elle était d'accord auparavant. Aux regards de ses amis, appartenant à la même culture qu'elle, elle ne peut se prendre trop au sérieux. Elle brave en quelque sorte en "son territoire social", ce que nous pouvons représenter : le savoir et l'institution scolaire. Ludovic sera absent de l'appartement, joue-t-il peut-être avec des camarades de la cité ? Les deux grandes sœurs sont également parties.

"Les deux parents sont au chômage " dira l'enseignante mais la mère a, en réalité, quelques heures de ménage dans une société et le père travaille par intérim dans la peinture. "Il n'y a pas d'apports au niveau de l'ouverture de ce qui se passe autour de lui et dans le monde de l'écrit. Je ne sais pas ce que cela peut donner. C'est vraiment pauvre et j'ai ressenti cela toute l'année [...] Il n'y a pas d'émulation mais je pense que les parents sont désarmés quelque part". C'est le constat impuissant de l'enseignante, qui voit Ludovic plein de bonne volonté 344 pour réussir mais manquant de stimulations familiales.

Le degré de présence de chaque geste de médiation est à la hauteur de la pauvreté culturelle, comme si les deux univers, scolaire et familial, étaient des mondes indépendants. La définition de l'apprentissage de la lecture pour cette mère est un "mystère" ; elle ne veut même pas esquisser une réponse et dira simplement que "c'est le premier pas pour apprendre à lire".

Notes
343.

Entretien N° 35

344.

I " Je pense qu'il y avait beaucoup de volonté de la part de Ludovic voyant les autres participer, apporter des choses, ayant vu et entendu que... Lui était là pas les mains vides....; il aurait eu envie lui aussi mais il n'y pas ce soutien derrière qui lui permette à lui de...."