Geste n°8

La lecture n'a de sens, ici, que par la construction du lien qui la rattache à l'école. Dans le discours de la mère, il y a bien une dimension cherchant à dépasser le code ; l'apprentissage de la lecture "c'est apprendre à lire des mots, des phrases, c'est la langue française" dira-t-elle dans un premier temps, donnant à son propos une dimension cognitive ne s'arrêtant pas seulement au code. " C'est aussi devenir plus grand" pour l'enfant qui passe d'une étape à une autre à l'école. Mais que met-elle pratiquement en place pour qu’il se construise réellement une personnalité avec l'outil lire-écrire ? C'est un discours d'intention qui se trouve en décalage avec les habitudes de la famille.

En fin d'année, l'enseignante n'envisage pas pour lui un redoublement "parce qu'il a acquis la lecture dans sa technique, son déchiffrement et la compréhension[...] mais maintenant l'intérêt[...] Est-ce qu'il voit ses parents lire? Comment et quelle importance a le livre à la maison ?" L'enfant s'est bien construit une technique tout au long de l'année mais il n'en a pas encore fait du sens pour lui, pour sa vie. Il en est resté à un côté purement scolaire de la chose alors que toute l'année l'enseignante s'est efforcée de lui faire aimer les livres en dehors de la contrainte du code, "l'ouvrir au monde de la lecture rien que sur le temps de lecture loisir. Il est encore au stade où je leur dis : " vous prenez un temps de lecture plaisir" et bien il va te lire la bibliothèque en ¼ d'heure. Que je tourne les pages et que je tourne les pages".

Tout au long de cette analyse, on perçoit que le sens même du lire-écrire se trouve dans un rapport uniquement scolaire. Les parents comptent sur l'école pour qu'enfin leur enfant soit socialisé, autonome et parfaitement lecteur. La maman est seule à gérer la délicate question de l'école et le père vient en renfort, le cas échéant, pour que son fils file "plus droit". Elle est derrière lui pour tout ce qui est scolaire et le livre de bibliothèque se transforme en un travail supplémentaire de lecture. 366

Le sens que se font les parents de la lecture n'est pas dans la lecture plaisir des contes ou des bandes dessinées, il est dans la volonté que l'enfant sache lire le plus rapidement possible, qu'il n'ait plus besoin d'eux. Les gestes de médiation développés plus haut parlent d'eux-mêmes, ils sont quelque peu escamotés et l'ensemble du propos tenu confère à cette famille un statut dont la tendance est "conformiste" 367 . Cette mère ne comprend pas que son enfant a besoin d'un autre étayage 368 que celui du rapport uniquement scolaire aux choses et aux savoirs d'une façon plus générale. Elle se convainc de la nécessité qu'un parent doit être derrière son enfant, en oubliant à son insu, que l'accompagnement de celui-ci dans son apprentissage à la découverte de l'acte lexique n'est pas uniquement scolaire.

Notes
366.

Le critère 13 n'a pas été évoqué

367.

Cf. le tableau regroupant la typologie des familles et ses différentes caractéristiques chapitre 3 TOME I

368.

au sens "Brunerien"