La participation de la famille dépend de ses représentations.

Lorsqu'on observe l'ensemble des histogrammes ci-contre, on peut être amené à tirer plusieurs conclusions. La confiance des parents vis-à-vis des enseignantes est relativement grande. Ils sont satisfaits, voire très satisfaites de la méthode utilisée. On reviendra ultérieurement sur leur rapport que les parents ont avec l'écrit. Quand on observe maintenant le geste N°4, ceux de ce groupe ont tardé pour raconter des histoires, et leur fréquence est très large. Le travail du soir est suivi assidûment. Enfin, les gestes N°7 et N°8 illustrent bien le fait que les familles n'ont pas installé une relation avec l'écrit suffisamment riche et suffisamment proche de leur vécu pour le médiatiser auprès de leur enfant

Ces quatre familles, comme sans doute beaucoup d'autres, ont une conception dichotomique de l'apprentissage de la lecture. Sans considérer la méthode, l'apprentissage de la lecture se passerait en deux temps : l'enfant apprendrait à lire pendant une période donnée, puis il saurait lire pour le restant de ses jours. En d'autres termes, malgré la sensibilisation à l'écrit pendant la maternelle (cycle I), il n'apprend pas à lire, il s'amuse, pour reprendre les propos d'une des mamans. Arrivé en CP, il apprend les fonctionnements de la lecture - la représentation diffuse qu'il en a alors, se fonde sur un système mécaniste et non sur un processus - et puis il lit. Par conséquent, à l'issue de l'apprentissage, il n'a plus besoin qu'on lise pour lui, puisqu'il sait le faire tout seul.

Les parents réduisent ainsi, par méconnaissance, le long processus d'acquisition de compétences "lectorales", à un enseignement sur une période donnée. Ils le considèrent comme un apprentissage simple (genre réflexe). Ils ne pensent pas que l'acte lexique, de par la complexité de tous les vecteurs le composant, demande plusieurs années de bain "lectoral" pour arriver à obtenir un certain nombre de compétences. Cette conception s'apparente au béhaviorisme ; l'enfant part d'un état A, ignorant, pour arriver à un état C, savant. Entre temps, une période B de conditionnement mécaniste donne les rudiments au débutant lecteur. Or, de nombreuses recherches ont montré que l'apprentissage de la lecture exige des savoir-faire complexes, ne pouvant se réduire à cette conception.

Si l'habitus peut être considéré comme un ensemble de comportements s'acquérant dans le temps auprès d'une communauté socialement définie, la description d'un apprentissage réalisé sur une courte période ne peut entrer dans la définition d'un habitus. C'est la raison pour laquelle, nous semble-t-il, ces enfants dont nous venons de décrire leur cheminement de lecteur ne créent pas de sens sur le sens même de l'acte de lire - ils n'ont pas la motivation - ; la famille n'ayant pas un habitus "lectoral" suffisamment porteur. De ce fait, elle ne peut à elle seule, malgré sa bonne volonté, aider son enfant. La représentation qu'elle se fait de l'apprentissage est restrictif ; axée sur l'apprentissage mécaniste, elle néglige celui de l'acte lexique, qui sous-entend beaucoup plus de choses que le simple rapport au code.