Geste n°8

Au-delà du projet de sens que ses parents se font de la lecture et de son apprentissage, Morgan "est en crise existentielle" car il ne trouve pas les réponses mêmes aux questions qu'il ne peut linguistiquement se poser. Ne pouvant pas tisser des liens au quotidien dans sa propre vie, il n'est pas possible pour lui de se construire sa personnalité avant même d'élaborer ses goûts de lecteur. Il a trop de questions sans réponse. "C'est un enfant excessivement nerveux, très intériorisé et qui explose à tout bout de champ, et qui explose constamment, se contrôlant mal au niveau moteur, des tremblements, des paroles incontrôlées, des gestes incontrôlés, constamment un manque de contrôle sur lui-même évident" 397 . Il n'y a pas de lien concret entre son quotidien et la lecture. Il ne sait pas encore pourquoi il apprend à lire. Cela ne lui sert à rien puisque, exceptées les injonctions des adultes le lui demandant, il ne fait pas de lien entre cette obligation et son besoin fondamental d'apprentissage. "Pourquoi lire puisque je sais déjà plein de choses ?" Peut-il se dire. Il a envie, mais ne voit pas suffisamment encore la nécessité d'apprendre à lire. Il n'est pas en projet.

Il a probablement un rythme de vie personnel ne lui convenant pas. Ses longues journées de huit heures à dix-huit heures à l'école, quatre jours par semaines ne sont pas là pour le stabiliser. Cela dure depuis qu'il est rentré en maternelle. "Ce gosse veut travailler mais il ne peut s'investir" 398 , comme s'il était préoccupé par autre chose. Il a envie d'apprendre, il est plein de bonne volonté mais il est incapable de mobiliser son esprit. Pourquoi ? La question reste posée. Au regard des gestes de médiation décrits, on perçoit bien que la famille met en place des moyens sans pour cela aller jusqu'à leur accomplissement. L'angoisse de la mère qu'elle lui a fait transparaître avant l'entrée au C.P. n'a pas dû également faciliter la représentation qu’il pouvait se faire de l'apprentissage de la lecture. Morgan est un enfant, pour l'heure, qui souffre. Il se situe mal dans sa famille quand il annonce à sa maîtresse qu'il a plusieurs frères aînés, alors qu'il n'a qu'une demi-sœur. En résumé, il ne peut investir l'acte lexique pour deux raisons : des questions existentielles l'empêchent d'investir un code linguistique demandant un niveau d'abstraction et la médiation parentale, en partie tronquée, ne suffit pas à l'aider dans ses débuts.

Ces parents, se font-ils un projet de sens congru avec l'acte lexique ? Ou plutôt, prennent-ils le temps nécessaire avec leur enfant pour l'amener à devenir un lecteur ? A leur insu, ils sont loin de se poser ce genre de questions et, de bonne foi 399 , ne comprennent pas les problèmes existentiels qu’il rencontre. La mère nous semble indépendante et le père très pris par son travail. Comme bon nombre de parents à tendance "conformiste" 400 , ils n'ont que la solution de déléguer la responsabilité de l'apprentissage de la lecture à l'école et lui faire confiance au maximum. Lorsque l'enseignante dit que "l'enfant aura des limites intellectuelles", nous disons plutôt, qu’aujourd'hui il n'est pas en mesure de gérer mentalement un apprentissage demandant une très grande disponibilité intellectuelle. Ces parents, et notamment la mère malgré son angoisse, l'aident certainement dans la découverte du code (déchiffrage ou découverte des structures de sens phono-grahologiques) mais ne mettent pas suffisamment en œuvre la découverte du sens (le sens des structures de sens phono-grahologiques, et le sens même de l'acte lexique).

Notes
397.

Propos recueillis auprès de l'enseignante

398.

Propos recueillis auprès de l'enseignante

399.

M Je sais toujours pas ce qui s'est passé, il a fait ça ( le fait qu'il voulait pas aller à l'école, pleurant, refusant tout systématiquement) à l'école, mais il va le mercredi après-midi à l'école de sports et c'est la même chose

400.

Cf. tableau reprenant la typologie des différentes tendances, chapitre 3 TOME I