Geste 8

La construction du lien entre vie au quotidien et lecture n'est peut-être pas aussi clair qu'il n'y parait. Il y a bien une volonté de faire aimer lire, que l'enfant réussisse scolairement, mais elle ne semble pas directement en lien avec le présent. "Le fait de lire, c'est hyper important pour pouvoir se cultiver, s'informer, écrire du mieux possible" ; lorsque le père dit ceci, il est dans un avenir. "Pour lui donner envie de lire il faut déjà avoir préparé l'enfant, cela avant le C.P." ; Lorsque la mère ajoute cela, même si, par ailleurs, elle veut lui donner le goût à la lecture, elle inscrit ces démarches dans un avenir scolaire sans réellement prendre en compte le quotidien. Ce critère n'est pas totalement inscrit dans une habitude familiale ; apprendre à lire, c'est, en quelque sorte, pour l'avenir.

Au vu de ce graphique et à la description des différents critères, on peut s'interroger sur les difficultés relatives de l'enfant, d'une part lors de la passation du E20 et, d'autre part, en classe. Les conditions d'élaboration de l'acte lexique telles que nous les avons décrites précédemment sont, semble-t-il, mises en œuvre. Elles ne sont pas pour autant les seuls éléments à intervenir dans le développement de l'apprentissage de la lecture. Cet enfant, inhibé, peu demandeur, ayant souvent un temps de retard par rapport aux autres enfants de la classe, est un enfant attentif, aux dires de l'enseignante. Au cours de l'année de C.P., même si cela l’étonne, Dimitri installera tout doucement les habiletés "lectorales" nécessaires et suffisantes pour continuer sa scolarité en C.E.1.

On peut émettre des hypothèses complémentaires pour expliquer les difficultés relatives de l'enfant. Celui-ci n'a peut-être pas un projet de sens concernant les structures de l'apprentissage de l'acte de lexique, alors qu'il goûte avec plaisir une histoire racontée. Quand un enfant écoute une histoire, il est en projet d'écouter, d'imaginer, d'injecter le texte lu dans sa propre histoire personnelle. Il est en projet de se la reconstruire et de la traduire en évocations. Lorsque l'apprentissage formel de l'acte lexique arrive dans sa vie, il ne s'agit plus tout à fait du même projet de structures de sens. L'investissement personnel diffère ; il faut qu'il se préoccupe du code et uniquement de lui. Son implication intellectuelle et cognitive change alors de direction. D'auditeur reconstruisant un imaginaire à partir d'un texte, il devient lecteur construisant du sens avec un texte d'auteur lu. La difficulté de Dimitri réside peut-être dans ce passage d'auditeur à lecteur. Il n'a pas compris tous les éléments pour avoir une implication plus grande dans son propre apprentissage. Finalement, il aurait tout, sauf le projet d'investir le code. Le problème ne se situerait pas sur un décalage éventuel entre la culture de l'école et celle de la famille, mais serait davantage liée à sa capacité de mettre cet apprentissage en perspective par rapport à ses propres besoins (motivation, plaisirs) et sa propre connaissance de ce qu'il sait déjà de la lecture. L'enfant ne se construit pas des projets de structures de sens adéquats à l'apprentissage de la lecture. Bien qu'on lui lise des histoires, il ne fait pas directement le lien entre l'apprentissage et l'histoire qu'on lui raconte. En d'autres termes, il ne sait pas ce qu'on attend de lui. Il n'arrive peut-être pas à faire exister dans sa tête ce qu'on lui demande quand il aborde les premiers éléments de l’initiation. On verra cela notamment dans les textes de mathématiques, où il semblerait avoir du mal à comprendre les consignes. Quittant ce registre pédagogique, les psychologues pourraient sans doute donner une explication tendant à prouver que c'est dans la relation mère-fils que se joue la difficulté. En effet, les propos de l'enseignante montrent clairement qu'il existe un fond d'anxiété chez la mère. Elle ne veut pas "le lâcher", elle a peur pour lui.

En conclusion, cette famille rassemble bien tous les indicateurs indiquant une tendance "entrepreneuriale" 407 . Elle met aussi en place, d'une manière significative, les critères d'élaboration de l'apprentissage de l'acte lexique. L'enfant, situé dans le GROUPE II, profite peut être maintenant, de ce que ses parents ont mis en place pour faciliter son accès à la lecture. En cette fin de C.P., la mère est beaucoup moins inquiète. Contrastant avec ses débuts, "au niveau de la lecture, ça va, Dimitri est demandeur donc je trouve que ça va. Pour l'écriture aussi. Il a eu un démarrage difficile, très difficile. La maîtresse me disait qu'il y avait amélioration".

Notes
407.

Cf. tableau reprenant la typologie des différentes tendances, chapitre 3 TOME I