16-2 La famille ALLAMED 455 . Apprendre à lire le français dans le mélange de deux cultures que tout oppose.

‘" Ils parlent la langue de leur mère, en langue somalienne, on explique des histoires comme ça. "’

La famille loge au premier étage d'un HLM dont la cage d'escalier est sombre et mal entretenue. Monsieur Allamed nous accueille chaleureusement dans son appartement vétuste ; le couloir de l'entrée n'a aucun revêtement et des traces noires dénotent un manque de soins ou de financement pour restaurer le lieu. En entrant, on peut entendre une musique et un chant arabe en fond sonore. La salle à manger, dans laquelle on nous fait pénétrer, est arrangée sommairement ; des meubles sont bien sûr présents, mais on sent le strict nécessaire pour vivre, pas de décorations ou de tableaux aux murs. Seule une pendule incrustée d'un verset du Coran orne le mur opposé au canapé où nous sommes assis.

Pendant tout l'entretien, madame, malgré nos invites à participer, est restée à l'écart, assise dans la cuisine avec la toute petite dernière, Farah, âgée de 11 mois. Elle est habillée d'une djellaba et coiffée d'un shador. Etant loin de nous et parlant très peu français, elle ne comprend sans doute pas vraiment ce que nous lui demandons. Son mari traduit parfois, mais les réponses sont courtes et parfois inaudibles. La tradition arabe est respectée, l'homme reçoit son invité et la femme reste à l'écart de la conversation. Les quatre autres enfants, quant à eux, sont bien présents et entourent le père tout en gesticulant et criant 456 et c'est Naker, le plus âgé, qui répondra à quelques questions embarrassant le père. Il est habitué ; c'est lui que nous avons eu au téléphone pour convenir du rendez-vous. Il est, en quelque sorte, l'interprète entre sa mère et le monde extérieur pendant les déplacements de son père 457 . Ce dernier parle relativement bien le français.

Cette mère est malhabile avec la langue française, et la famille semble très peu intégrée 458 dans la cité. Elle parle le somali et par voie de conséquence les enfants bénéficient de cet apport culturel ; l'enseignante le confirmera. Le père le fera également : "ici, ils parlent la langue de sa mère en langue somalienne, on explique des histoires comme ça". Lui, Yéménite d'origine, parle l'arabe et propose à ses enfants des cours pour qu'ils connaissent également cette langue. Nasser est au carrefour de deux cultures - malgré leurs différences, les cultures somaliennes et yéménites sont considérées, ici, proches - et on sait que lorsque des cultures se rencontrent, des pratiques socioculturelles, qui peuvent être très différentes voire incompatibles, se trouvent confrontées les unes aux autres. Nasser doit donc modifier notablement son comportement en fonction des lieux qu'il pratique. D'une part l'école, avec une langue officielle à apprendre, le français et, d'autre part, la famille avec la langue maternelle le somali. Deux langues et deux cultures différentes. Un processus d'acculturation (CAMILLIERI, 1989) est en mouvement. L'enfant doit faire vivre en lui ces deux cultures au risque de s'exclure de l'un ou l'autre groupe d'appartenance (TABOADA-LEONETTI, 1987). Ce processus décrit l'influence qu'une culture exerce sur une autre quand elles rentrent en contact, "c'est la résultante de l'ensemble des phénomènes du contact direct et continu entre les deux groupes d'individus de cultures différentes, avec des changements subséquents dans les types de culture originaux de l'un ou des deux groupes" 459 . Portant le costume traditionnel somalien, parlant très peu le français, madame Allamed ne semble pas être intégrée 460 . Elle n'a, semble-t-il, pas trouvé un équilibre au sein de la culture du pays d'accueil ; elle reste très attachée à ses références culturelles originelles. Pourtant, son mari apparaît ouvert à la démarche d'intégration culturelle de sa femme. "Pour elle, le français, c'est dur, il faut rentrer avec les gens ! C'est tout ! " dira-t-il, signifiant peut-être qu'il faut aller vers les autres pour apprendre. Dans la continuité de ce qui vient d'être écrit, les gestes de médiation de l'apprentissage de l'acte lexique seront donc sans surprises.

Notes
455.

Entretien N°31

456.

Le bruit fait pas les enfants n'ont pas permis la retranscription intégrale de l'entretien.

457.

Le père achève une formation de peintre en bâtiment à Angers et vient d'obtenir son C.A.P. Il n'est donc pas présent pendant la semaine.

458.

Propos de l'enseignante I Mohammed, c'est une famille qui reste chez elle, qui a du mal à communiquer et tout d'abord, je crois qu'ils parlent un dialecte particulier, je ne sais plus lequel".

459.

Cité CAMILLERI (C.), COHEN-EMERIQUE (M.) .- Choc de cultures .- l'Harmattan, Paris, 1989, page 29

460.

Op. Cit.., page 30