Geste n°7 et geste n°8

L'appropriation de l'acte lexique passe obligatoirement par un apprentissage scolaire. L'enfant ne peut pas s'imprégner de la lecture de l'écrit en général par sa famille si celle-ci n'a pas d'habitudes "lectorales" et scripturales. Nasser devra donc trouver l'enthousiasme de la lecture en dehors de son milieu familial. Le quartier, le centre socioculturel, l'école, la bibliothèque de quartier sont apparemment ses seuls recours. Sa culture familiale, étant énormément en décalage culturel par rapport à la culture scripturale et "lectorale" française, qu'il ne peut pas, pour le moment, s'y retrouver. Il est dans l'impossibilité de se créer une personnalité de lecteur puisqu'il ne puise pas dans le livre ce qui pourrait l'aider à se construire. Les seules histoires qu'il peut entendre lui sont lues à l'école ; là, il peut s’inventer un imaginaire, fantasmer, rêver, rentrer dans la peau d'un héros, mais l'intimité de la rencontre avec le livre restera toujours limitée tant qu'il n'aura pas élaboré un autre sens à ce vécu "lectoral" que celui que lui apporte sa famille. Autrement dit, l'acte de lire sera circonscrit à la sphère scolaire.

La langue écrite est un des véhicules d'une culture et avant d'entrer dans la pratique de l'écrit de celle-ci, il est un préalable indispensable : vouloir créer du sens qui sera reconnu par les autres. En d'autres termes, ce que je suis en train d'apprendre, ce que je suis en train de faire, doit avoir un sens cognitif et ou culturel. Pour Nasser qui parle couramment le somali et le français, quel sens se fait-il de l'écrit quand on sait, par ailleurs, que sa mère dans son pays a peu fréquenté l'école et qu'elle ne pratique absolument pas la lecture ? Elle semble imperméable à la culture française, il y a "ghettoïsation" pour reprendre les termes de Carmel CAMILLERI car pour protéger sa personnalité, elle s'enferme dans sa culture d'origine. Le père joue la carte de l'intégration et essaie de trouver un équilibre entre les cultures. Pour Nasser, c'est difficile et en cette fin d'année, la décision du redoublement du C.P. est prise

Dans le rapport qui se tisse entre l'école et la famille, cette dernière délègue à l'école, les missions d'enseignement et d'éducation. A ce titre, la typologie de cette famille s'apparente à celle du "conformiste" 464 , à ceci près qu'il n'y a apparemment pas une complète adhésion au projet de l'école. La famille, au travers des propos du père, subit, plutôt qu'elle n'adhère. Elle se repose sur l'institution scolaire parce qu'elle y est bien obligée, cela fait partie du cadre de la loi. Cependant, le décalage et les attentes entre les deux normes culturelles ne sont pas là pour aider l'enfant à se structurer d'un point de vue cognitif et culturel. De plus, les difficultés d'intégration de la mère dues au barrage de la langue, le scepticisme du père par rapport à l'école et le rapport spécifique que cette famille entretient avec l'écrit, sont les ingrédients n'aidant pas Nasser dans l'élaboration de son acte lexique.

Notes
464.

Cf. tableau reprenant la typologie des différentes tendances chapitre 3 TOME I