Geste n°8

Sans pression d'aucune sorte, l'enfant est porté par une ambiance familiale favorable à l'apprentissage de l'acte lexique. Le père ne veut pas "en faire un Einstein" comme il le dit, mais souhaite qu'il ait un bagage minimum pour la vie. Il a, vis-à-vis de ses enfants, une confiance vigilante et veut laisser au temps, le temps de faire grandir Marwène : "on lui laisse le temps d’assouvir son enfance, bien remplir son enfance, ça sert à rien de commencer trop tôt comme je vous ai dit, ce qui explique que je ne veux pas en faire un Einstein". Cette formule reviendra à trois reprises comme pour dire : "attention les études ne font pas tout dans la vie" 472 . Il respecte le temps présent de l'enfant. Cela dit, il ajoutera également : "mon principe, c'est celui que j'ai inculqué à mes enfants, il vaut mieux pointer au chômage avec des diplômes que sans rien du tout". Cette opinion donnée, il faut laisser à Marwène le temps de son enfance tout en exigeant qu'il fasse son travail scolaire correctement pour assurer son avenir. Les deux parents en gardant des éléments de la tradition arabe (émission de T.V. tunisiennes, livres en arabe, intérieur de la maison, langue arabe dialectale utilisée en famille) donnent, en dehors même du champ de la lecture, une vie aux origines culturelles de la famille. L'enfant rassemble incidemment et petit à petit les écheveaux de sa filiation historique. Ses parents l'aident à comprendre et habiter la culture du pays d'accueil en le laissant libre de choisir plus tard sa nationalité. Ils se sont intégrés et font du sens et du lien entre les deux cultures. Marwène, comme son frère et ses sœurs, profite de cette intégration qui ne veut pas pour autant dire soumission d'une culture par rapport à l'autre mais connaissance et vécu des deux. Elles sont là, présentes et indispensables pour former leur personnalité sociale et historique. Cependant, dans ce contexte familial particulier, la construction du lien entre vie quotidienne et lecture n'est pas affichée clairement. 473

Marwène est en échec face au E20, et réussit, aux dires de son enseignante, son C.P.. L'échec face à l'épreuve n'a pas forcément, dans ce cas précis, une grande importance. Comme cela a déjà été dit plus haut, des circonstances particulières (stress, fatigue, peur de l'inconnu) ont pu altérer sa passation et ses résultats. Dans d'autres conditions plus favorables, ses résultats auraient sans doute été, au mieux, dans l'écart-type de la classe.

Mis à part le fait que la famille ne propose peut-être pas assez de variété de lecture à l'enfant, nous constatons que Marwène bénéficie d'un cadre familial stable, ordinaire, favorable à l'éclosion de la lecture. Cela n'entre pas dans les habitudes de la famille de fréquenter une bibliothèque ou d'acheter des abonnements, mais à aucun moment le manque de temps ne sert d'alibi. Bien au contraire, le temps, la patience et le respect de l'enfance semblent être les vecteurs transmettant le goût à la lecture et à la curiosité. L'enfant est écouté, il a sa place en tant que personne, il a son rôle à tenir dans la famille. Le projet de sens de la famille, et notamment du père vis à vis de la lecture est bien présent - il y trouve lui-même du plaisir -. Comme tout un chacun, il souhaite que son enfant sache lire et fait confiance à l'école pour qu'elle lui donne les bases fondamentales de la lecture 474 . Lui et sa femme sont là pour offrir un cadre stabilisant. Leur tendance "conformiste" 475 n'empêche en rien la réussite mesurée de Marwène.

Notes
472.

E Mais vous ne voulez pas en faire un Einstein. — P Ah non, absolument pas. Pas un Einstein mais pas un illettré non plus. — E Je comprends. — P On est modeste et on restera modeste et puis terminé. — M Si ils veulent aller plus loin, pourquoi pas, on va pas l’arrêter. — P On ne connaît pas, s'il veut aller plus loin, il va aller plus loin. De toute manière, arrivé à un stade ou nous, on sera plus rien dans l’affaire.

473.

Le critère N°13 n'a pas été évoqué

474.

E Mais vous ne voulez pas en faire un Einstein. — P Ah non, absolument pas. Pas un Einstein mais pas un illettré non plus. — E Je comprends. — P On est modeste et on restera modeste et puis terminé. — M Si ils veulent aller plus loin, pourquoi pas, on va pas l’arrêter. — P On ne connaît pas, s'il veut aller plus loin, il va aller plus loin. De toute manière, arrivé à un stade ou nous, on sera plus rien dans l’affaire. —M Parce que nous , on en a quatre. — P Le plus important, c’est les premières années de l’école. Ce que je vois, c’est vraiment les plus importantes premières années. Après, soit il se dirige..., tout en restant vigilant, bien sûr, mais en lâchant du lest un petit peu... — E Vous faites confiance. — P "Confiance" entre guillemets. — E C’est-à-dire ? — P Restons vigilants. — E C'est à dire ; on lui donne des principes d’éducation ? — P Oui, et puis il va là-dessus et puis il les suit et puis c’est tout. N’empêche, même j’ai mes filles, j’ai entière confiance en elles, mais n'empêche que nous restons un petit peu vigilants. Moi, je peux parler au non de ma femme, parce qu'elle comprend ce que c'est. Nous restons vigilants tout en leur donnant la compréhension, la confiance... mais on est obligé, c’est-à-dire, par exemple, si on s’abstient, ça donne rien et si on donne trop trop de confiance, l’enfant même quel qu’il soit, le meilleur éduqué du monde, il a des entraves, c’est instinctif. Il arrive un moment où il fait des entraves, des entraves... à tout. C’est avec l’âge.

475.

Cf. tableau reprenant la typologie des différentes tendances, chapitre 3 TOME I