Chapitre 17. Réussir son apprentissage de la lecture dans un contexte apparemment difficile.

Les familles dont il va être question maintenant, illustrent une autre frange de la population des parents rencontrés. Le vocable de "famille défavorisée" ne leur convient pas car beaucoup trop imprécis. Si on fait référence uniquement au revenu mensuel entrant dans chacun de ces foyers, alors effectivement, elles le sont car, sauf une, chacune ne perçoit pas 10 000 francs mensuels. Il est temps de dépasser cette notion qui ne fait que le constat de situations familiales sans donner avec précision en quoi une famille peut être favorisée ou défavorisée.

Hormis la faiblesse de leurs moyens financiers, elles savent mettre en place des systèmes de régulation et d'appropriation de l'acte lexique. Tout d'abord, les unes comme les autres, avec les moyens dont elles disposent, ont des rapports relativement élaborés avec l'univers scolaire de l'enfant. Elles tissent également un lien culturel avec l'écrit qui n'est pas sans importance ; les parents, pour la plupart, sont des lecteurs occasionnels (sauf entretien N°14) et renforcent implicitement l'environnement "lectoral" de la famille. En effet, il va de soi qu'il est plus facile de lire si l'on a à sa portée de quoi satisfaire son goût pour la lecture. Les entretiens montrent bien qu'en ce domaine, les parents ont une pratique habituelle (journaux, magazines et livres) et entraînent imperceptiblement leur enfant dans le monde des signes. En cela, ces familles n'ont rien de "défavorisées" puisque culturellement elles ont une base suffisamment solide, pour à leur tour, médiatiser l'acte de lire. On le voit très bien dans la constitution de la triade parents-livre-enfant ou chacune - notamment entretiens N°2, N°42, N°47, N°48 - consacre un temps de partage ou le livre n'est plus, pour l'enfant, un support de signes sans signification mais se transforme, comme par magie, par la bouche du parent, en une chaîne de mots dits faisant naître en lui des évocations correspondant à ses attentes ou à son vécu. Cela dit, comment se fait-il, en comparaison des familles dont les enfants ont échoué, que ces enfants soient considérés en situation de réussite ?

Tout d'abord, comme il le sera rappelé pour chacune des analyses qui vont suivre, il est nécessaire de relativiser les scores obtenus lors de la passation de l'épreuve lexicale. Les enfants issus de ces quatre familles (entretiens N° 38, N°42, N°47, N°48 ) ont des résultats qui les situent au-dessous de l'écart-type du GROUPE I et, tout en étant accepté comme enfants ayant le mieux réussi de leur classe de référence, il n'en demeure pas moins qu'ils n'auraient pas été retenus s'ils avaient appartenu à une autre classe de notre population. Ils se seraient situés alors, juste dans l'écart-type. Ce n'est pas tout à fait le cas pour les deux autres familles où nous découvrirons au moins pour l'une d'entre elles (entretien N°14) comment, malgré l'angoisse de la mère, et le peu de sollicitation tournée vers l'acte lexique, l'enfant arrive à se construire un projet de lecteur.