Geste n° 8

L'apprentissage de la lecture, tel que nous l'avons défini comme action pédagogique formalisée pour découvrir le code écrit de la langue, n'est qu'une petite partie. Camille, depuis sa naissance, a été installée dans un processus de lecturisation, prenant en compte, par définition, le sens de l'écrit. Elle se construit, au travers des histoires lues et des discussions autour des mots ou des images vus et entendus, des schèmes de raisonnement qui questionnent implicitement le sens des messages ( le contenu de l'histoire). Progressivement, elle prend conscience qu'elle peut posséder à son tour ce code parce qu'elle sait "pourquoi elle a envie de lire, et à quoi ça sert de lire".Jusqu'à 5 ans, à la maison comme à l'école, elle s’élabore un projet de sens aux histoires qu'on lui raconte, aux mots qu'on lui montre, aux sonorités qu'on lui fait entendre. Animé de ce projet de sens inscrit dans sa culture familiale, l'enfant est même allée plus loin. En grande section, elle a commencé à s'intéresser au code mettant en place des projets de moyens finalisés pour s'approprier un code faisant sens pour elle. Autrement dit, dans un premier temps (de 0 à 5 ans), ses parents l'ont inscrite dans un habitus lectoral où s’est installé le sens même de l'acte lexique (le "pourquoi" lire). A partir de 5 ans, elle s'est mise en projet de moyens (constitution progressive d'un capital mots et connaissance des règles phono-graphologiques) pour répondre elle-même à la question comment s'approprier le code (le "comment" lire). Pendant toute cette période, les parents étaient présents parce qu'ils savent que ce qu'ils proposent aujourd'hui à leur enfant en termes de lecture lui sera bénéfique demain pour la construction de sa personnalité.

Un tel histogramme montre à quel point tous les gestes de médiation sont accomplis. Il ne s'agit pas, pour cette famille, de laisser seule l'enfant avec le livre ou d'axer leurs intentions éducatives uniquement sous le contrôle de l'école. Elle n'est qu'un lieu de savoir parmi d'autres. Elle n'est qu'un prolongement de ce qui se fait déjà en famille. Madame Gelé est claire, il n'est pas question de mettre la responsabilité de l'éducation et des apprentissages sur l'école : "je crois que c’est là que justement dès fois, on peut arriver à un échec, dans le sens où l’école est présentée comme l'autorité ou comme "tu verras, quand tu seras à l’école, tu pourras pas faire ça"... Non, là c’est peut-être plus l’enseignante qui parle, mais je trouve que c’est un peu ça et c’est une fausse image qu’on se fait de l’école quelquefois [...]. Et puis l’école, c’est pas l’endroit du tout savoir, et du tout pouvoir ... Je trouve que ça s’inscrit dans la vie de l’enfant et faut pas qu’il y ait cette barrière quoi".

Tous ces traits familiaux et toutes les actions mises en place aux bénéfices de la culture et de l'éveil de l'enfant font apparaître une tendance "précurseur" 563 . En effet, le milieu familial se sent pleinement responsable, sans pour autant, devancer l'action scolaire de façon formelle. L'action éducative est orientée vers un éveil global. Camille est respectée et écoutée en tant qu'enfant et prend sa place comme une personne à part entière. "On fait confiance quelque part [...] qu'elle se laisse respirer un peu, qu'elle reste petite fille, elle était en maternelle, qu'on la laisse grandir" dira madame Gelé, montrant que l'essentiel est de la laisser grandir naturellement, tout lui proposant un accompagnement à sa mesure.

Notes
563.

Cf tableau reprenant la typologie des différentes tendance pg