Geste n° 8

Jean s'est élaboré, chemin faisant, une personnalité de lecteur. Actuellement, ses goûts sont orientés vers les fiches techniques, les livres scientifiques et les bandes dessinées. Ses parents l'ont aidé à capitaliser un certain nombre de comportements qui l'aide dans son appropriation de nouvelles connaissances. Maîtrisant parfaitement le code, possédant dorénavant de nombreuses clés pour pénétrer dans divers supports de lecture, en fonction de ses goûts, on peut dire qu'il est devenu un lecteur averti. Il a même quitté le registre de l'apprentissage en tant que tel. En répondant à ses questions, en lui offrant la possibilité d'exprimer, et d'exercer ses compétences de lecteur, ses parents l'ont aidé au quotidien à améliorer ses capacités.

Quand le père dit "qu'ils n'ont rien fait pour", il veut sans doute dire qu'ils n'ont pas mis en place d'une façon formelle un apprentissage dans le but qu’il lise tôt. Néanmoins, il est évident que les différentes mises en situation de lecture l'ont fortement aidé à prendre possession du code et du sens de l'acte de lire. Le fait qu'il se soit très tôt intéressé à l'écrit, au symbolisme même des lettres est encore plus surprenant. Cet enfant était en quête de sens sur les symboles qu'il voyait. Il cherchait à percevoir le rapport phono-graphologique des mots tout en appréhendant le sens. A deux ans, il connaissait ses lettres, à trois ans, il commençait à déchiffrer les mots et vers quatre ans, il savait lire. Il semblerait qu'il ait choisi la voie ascendante dans son apprentissage 569 .

La curiosité de Jean semble en être le moteur. Cela dit, si elle s'est exercée à tel point qu'il a réussi à mettre en place toutes les habilités mentales requises pour ce genre de compétence, c'est que quelqu'un l'a mis sur la voie et lui a fait désirer l'acte de lire. Quand le père dit en préambule de l'entretien "Il appris tout seul, vraiment", il omet l'action fondamentale menée spontanément qu'il dévoilera très peu de temps après en déclarant "on a mis en œuvre le fait qu'on lui mette des livres à disposition". Ce premier geste est fondateur pour la suite et marque déjà un coup d'arrêt au phénomène de l'heureux hasard de la nature qui laisse évoquer son côté un brin surnaturel. Il est indéniable qu'il n'a pas suffi de lui-même à déclencher très rapidement chez lui un appétit du lire et du comprendre la symbolique des signes. Cet enfant s'est construit petit à petit le sens même de l'acte de lire, grâce à ses questions et aux réponses qu'on lui donnait. Il s'est imprégné très rapidement des histoires racontées par ses parents et, très tôt, il a posé un acte de connaissance, à savoir, comprendre les mécanismes de la langue écrite pour s'approprier à son tour la langue. C'est peut-être cela qui est surprenant chez cet enfant ; sa précocité intellectuelle réside dans le fait qu'il a fait rapidement l'effort de sens 570 sur les structures de la langue en opérant rapidement des classifications et des correspondances phono-graphologiques. Tout en choisissant la voie ascendante, l'enfant, par l'écoute des histoires, s'était déjà construit les prémisses de l'acte lexique qui se sont affinés petit à petit. Quand son père dit de lui "qu'il a pas appris à lire pour dire j'apprends à lire, c'est vraiment pour lire" cela veut dire, que Jean s'est mis en projet de moyens pour s'accomplir en tant que lecteur.

Dans la description des gestes qui ont été faits, ils ont une tendance "précurseur" 571 . Ils n'ont pas explicitement utilisé une méthode de lecture, mais leurs propres habitudes lectorales, le souci du bien être physique et intellectuel de leur enfant lui ont donné toutes ses chances à l'éclosion de l'acte lexique. Toute leur médiation s'est élaborée naturellement dans la spontanéité du moment : "On n'avait pas d’idées préconçues du tout. On a simplement répondu à sa demande mais... moi ça me plaisait bien de répondre à sa demande, de voir un petit garçon curieux, moi ça me plaisait bien. A tel point que je pensais que c’était une histoire de but, il voulait, il voulait absolument lire. Bon, très bien on va t’accompagner pour que tu puisses lire. Il a lu assez rapidement."

Notes
569.

SMITH ( F.) .- Comment les enfants apprennent à lire. Traduction et adaptation de Michèle Proux. RETZ Paris 1980, 169 pages

570.

GARANDERIE de la ( A.) .- Critique de la raison pédagogique .- NATHAN, Paris 1997, page 53

571.

Cf. tableau reprenant la typologie des différentes tendance, chapitre 3 TOME I