Geste n° 8

Il s'est construit tranquillement, par imprégnation, son capital d'habiletés qu'il a glané ici et là par l'apport de sa maman mais également par celui de la fratrie. En ayant des goûts de plus en plus affirmés, il s'est même élaboré une personnalité de lecteur. On sait qu'il aime les bandes dessinées, les histoires de sorcières. Plus jeune, au quotidien, on a répondu à toutes ses questions sans vraiment aborder d'une façon explicite l'apprentissage de la lecture en tant que telle. Et c'est là qu'on perçoit qu'incidemment le lien entre la vie et la lecture s'est construit au fur et à mesure. Madame Mékan le traduit dans ces mots : "je crois qu’on n’en parle pas vraiment, c’est l’enfant qui décrypte lui-même des choses... Par exemple, il regarde une affiche dehors, il dit : "tiens qu’est-ce qu’il y a là-dessus ? » Il ne parle pas de lettres d’abord, il dit : "qu’est-ce qu’il y a marqué ? qu’est-ce que ça veut dire ?". Et petit à petit, quand on répond, plus ou moins patiemment parce que quelquefois on ne se rend pas compte que c’est primordial, je crois, qu’il se rend compte que petit à petit, de ce que les choses veulent dire, et ça se met en place comme ça. Ça peut être n’importe quoi, un paquet de lessive, une BD, n’importe quoi..."

Comme on peut le voir, d'une façon ou d'une autre, Grégoire a bénéficié d'un apport familial indéniable. Le projet de sens de sa maman est bien orienté vers une prise en compte de l'acte lexique. A sa manière, elle y apporte sa contribution et pour elle, il est clair que toute famille, en réunissant des conditions adéquates, peut faire rapidement de son enfant un lecteur. Elles sont simples pour elle, il suffit d'une ambiance familiale détendue sans trop de perfectionnisme ni d'autoritarisme, complétée d'une certaine fantaisie, sans pour autant définir strictement des étapes. C'est donc, sans angoisse particulière, sans pression aucune, mais par un bain lectoral pouvant être défini par l'installation des gestes de médiation que madame Mékan a fait de ses enfants des lecteurs. En cela, et compte tenu des items retenus pour définir précédemment les tendances typologiques des familles, la famille Mékan s'apparente à la tendance "précurseur" 586 .

587 Elle porte un regard critique par rapport au monde de l'éducation et toutes les corporations qui gravitent autour de l'enfant. "Il faudrait plus de cohésion entre les différentes professions et tenir plus compte de l’intérêt de l’enfant plutôt que nos petits intérêts" lance-t-elle à un moment. Faisant référence à sa profession d'orthophoniste, elle pense que l'enfant en difficulté se retrouve "coincé" entre l’instituteur, l’orthophoniste et parfois le psychologue, le psychiatre et ses parents qui sont de plus en plus anxieux. Tout en lui proposant, à son rythme, des éléments de culture et de savoir-faire, on peut lui laisser le temps de vivre sa période d'enfance, d’appréhender le monde, et de décrypter les signes qui l'entourent. " Ca va très vite" dit-elle en substance et "On n'a pas le temps, on est bouffé complètement". L'apprentissage du lire, en son sens, n'a pas besoin d'être formalisé comme il est actuellement. D'une façon plus générale, cette maman a plutôt le sentiment qu'on pourrait leur laisser le temps de s'approprier les choses pour qu'ils en fassent vraiment du sens. Pour cela, une ambiance familiale chaleureuse et écoutante est nécessaire.

Notes
586.

Cf. tableau reprenant la typologie des différentes tendance, chapitre 3 TOME I

587.

Le critère N°13 n'a pas été formellement évoqué.