Geste n° 1

Lorsque les enfants ne rencontrent pas de problèmes particuliers, les parents vont moins voir leur maîtresse. C'est le cas pour madame Lemat qui n'a vu, en tout et pour tout, qu'une seule fois l'institutrice pour parler de son enfant. "Je pense que je la reverrai" dit-elle. Ce sera sans doute pour faire le point vers la fin de l'année. Disponible, puisqu'elle ne travaille pas, elle vient tout de même, lui donner ponctuellement "un petit coup main".

Cette maman fait confiance à l'école, même si elle apporte une critique sur son inadaptation lorsque les enfants vont un peu plus vite dans leurs apprentissages. Pour elle, Agathe aurait pu apprendre à lire bien avant le cours préparatoire et l'école - d'un point de vue général - ne le lui a pas proposé. C'est dommage, car elle avait vraiment envie d'apprendre et madame Lemat, en tant que mère, par crainte de commettre des erreurs pédagogiques à plus ou moins long terme, n'a pas osé le faire. Son mari aurait bien volontiers essayé une méthode d'apprentissage précoce de la lecture. Il a même acheté et lu le livre de Françoise BOULANGER 589 , mais devant la réticence de sa femme, il s'est abstenu. Elle préfère que des professionnels s'en occupent mais elle constate la grande difficulté de la mise en place des cycles. Elle le dit en ces termes : "tous les enfants n’ont pas le même éveil, la même maturité à 6 ans. Il devrait y avoir une souplesse à ce niveau là. On parle de cycles d’enseignement, d’adapter à chaque enfant la vitesse d’apprentissage mais dans les faits, ça n’existe pas". En fait, en approfondissant le propos de cette maman, elle aurait peut-être souhaité que sa fille raccourcisse son cycle II pour gagner un an 590 . Cela ne s'est pas fait. Les enseignantes de l'époque ne l'ont pas proposé. Elle se satisfait en se disant qu’Agathe s'est constitué son réseau de relations, et qu'en fin de compte, ne s'ennuyant pas en classe, elle suit sa scolarité normalement. Toutefois, dans l'esprit des cycles, elle affirme que "les enseignants pourraient, en quelque sorte, jauger les enfants. Dire celui-là, il est un peu endormi, 6 ans ça suffit, par contre cette petite fille qui est plus en avance, plus mûre plus éveillée, elle peut passer une classe, "sauter une classe" entre guillemets" de façon à ce que les enfants puissent être au maximum de leur potentialité et qu'ils ne s'ennuient pas.

La méthode de lecture satisfait totalement cette maman. Basée sur un départ global pour arriver à la décomposition syllabique, elle convient aussi bien à l'enfant qu'à la mère. En marge de cette satisfaction, elle s'oppose violemment contre la méthode globale et l'accuse, tout comme son mari, d'avoir favorisé l'échec de l'apprentissage de la lecture. "C'est dommage" dit le père "parce qu'il faut qu'on fasse le procès de ces méthodes qui ont sacrifié tant de générations. En terme de coût, c'est un coût considérable". Les mots sont durs et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la méthode de lecture précoce qu'il voulait utiliser est basée essentiellement sur la globalisation des mots. Ces parents semblent parler de méthodes, sans réellement connaître leurs fondements linguistiques et pédagogiques et là, il est intéressant de se poser la question de ce qu'on entend par méthode globale 591 .

Ces remarques qui ont été émises lors de l'entretien n'entachent en rien la cohérence du projet scolaire et familial. La confiance entre parents et enseignante est bien là et la méthode, même si elle ne résout pas tous les problèmes, contente les parents qui sont très attentifs à l'épanouissement de leur fille.

Notes
589.

BOULANGER (F.).- Lire à 3 ans.- NATHAN, Avril 1992, Paris, 261 pages

590.

E Ce que vous auriez souhaité pour Agathe ? — M Peut-être, oui, peut-être mais elle ne l’a pas fait et puis je pense que ça a bien marché. On se pose toujours la question. On ne sait jamais vraiment... mais peut-être... Je pense qu'elle aurait pu suivre. — E Quel aurait été l’intérêt... — M Je ne sais pas. De gagner une année (rire). Alors voilà, la question est de savoir si... — E gagner une année sur quoi ? — M C’est la compétition effectivement par rapport aux autres. Si vous arrivez au bac avec une année d’avance pour entrer dans une école ou autre cela peut-être un avantage.

591.

Cf. chapitre 5 : Apprendre à lire ; des conceptions contradictoires ou complémentaires