Geste n° 8

Elle aime lire et s'est construit incidemment une personnalité lectorale sous le regard attentif de ses parents. L'école n'est pas un lieu en disjonction avec la famille. Ils font partie d'un même univers pour l'enfant, l'un enrichissant l'autre. Au cœur de cet environnement (fratrie, copines, école, parents), Agathe a toujours fait des rencontres lui rendant possible la construction des habiletés mentales indispensables à l'acte lexique. En rentrant au cours préparatoire, l'enfant était prête, "elle connaissait des mots globalement, elle savait un petit peu lire. Elle pouvait lire toutes les syllabes simples". Toutefois un élément apparaît comme déterminant au yeux de l'enseignante : " C'est une petite fille pour qui le livre avait un sens. C'est quelque chose qu'on prend dans ses mains, on le regarde, on le lit, on le raconte, on cherche, on pose des questions, on se pose des questions". Elle est convaincue que tout ce dynamisme n'est pas le pur fruit du hasard ou de la nature même de l'enfant. 593

Le débat ".nature-culture 594 ".  est plus ou moins lancé lorsque la maman dit de ses enfants qu'ils ont "tous des facilités". Les comparant à d'autres, elle pense qu'il y en a effectivement qui ont plus ou moins une bonne aptitude à la lecture. "Je pense, dit-elle, qu’on a eu la chance d'avoir des enfants qui ont une bonne aptitude à la lecture. Elle, Agathe a une bonne aptitude, elle comprend vite et bien, elle aime ça. Là je pense que je n’y suis pas pour grand chose, c’est la nature qui a bien fait les choses". Elle oublie tout ce qu'elle a mis en place avec son mari pour qu’Agathe s'épanouisse au mieux. Il saura tempérer le propos de sa femme en disant qu'ils ont bien préparé les choses. Ce à quoi elle répondra que leur "enfant était demandeuse". On peut se poser la question en quoi et pourquoi l'enfant était-elle encline à s'interroger sur l'écrit.

Un tel contexte familial est porteur de sens, dans la mesure où les parents font eux-mêmes sens avec l'écrit. Ce n'est pas acte rébarbatif, il fait partie intégrante de leur habitus. Tout indique que l'acte lexique pour cette fille s'est construit petit à petit - avant même celui de la lecture - par imprégnation culturelle. Les gestes de médiation parentale en sont un exemple, sa capacité de mimétisme de ses grands frères, et sa volonté de devenir grande en sont d'autres. Elle était même prête avant l'heure pour approfondir les habiletés indispensables à la lecture. Cela dit, tout en reprochant à l'école son manque d'audace quant aux propositions de raccourcir un cycle chez un enfant plus "précoce", elle n'a pas voulu devancer l'apprentissage. Néanmoins, il ne s'est pas construit dans la précipitation d'une période donnée déterminée par un "diktat scolastique". Bien au contraire, c'est au cours d'un long processus d'imprégnation, par la familiarisation de l'écrit que l'apprentissage de l'acte lexique s'est d'abord enclenché, pour laisser place ensuite aux procédures plus fines telles que la reconnaissance phono-graphologique ou l'élaboration d'un capital-mots. Dans cette famille, on note aussi une certaine régularité "biologique" permettant à l'enfant de posséder des repères stables qui la rassurent même si plus tard ils tendent à évoluer et à changer. La leçon de piano ou l'heure du coucher en sont des exemples 595 .

Pour cette famille, il ne s'agit pas de devancer l'apprentissage, mais d'offrir à l'enfant des compétences pour être le plus à l'aise possible d'un point de vue scolaire. Cela montre une tendance "entrepreneur" 596 . Toutefois, ce n'est pas aussi clair que cela. Dans le fait de respecter la demande scolaire sans vouloir la surcharger, on distingue la tendance du "précurseur". Toujours est-il, que l'essentiel pour eux est d'apporter une qualité de vie familiale structurée favorisant l'équilibre de l'enfant.

Notes
593.

Le critère N°13 n'a pas été évoqué de façon explicite.

594.

Cf. chapitre 2 TOME I

595.

On n'est pas du genre très strict mais y’a des choses... Nos enfants font du piano, bon je suis là pour dire tu sais que tu as ton exercice de piano à faire ou... pour les heures de coucher aussi, quand il y a de l’école, je suis stricte. Ils se couchent à heures régulières. Luc moins il a 14 ans, mais Agathe à 9h30 elle monte sachant qu’elle se lève à 8 ¼ .

596.

Cf. tableau reprenant la typologie des différentes tendance, chapitre 3 TOME I