Geste n° 7 et geste n° 8

Camille est dans une dynamique culturelle de lecture. Ce partage continuel avec sa famille est facilité par un habitus qui fait une large place à l'écrire et au lire. Ce n'est pas une activité qui vient en plus se greffer à la vie quotidienne des enfants. Elle est présente naturellement. La place des jeux de lecture spontanés montre bien à quel point les enfants partagent un certain enthousiasme pour la lecture 626 . Camille est entrée dans une démarche de l'appropriation de l'acte lexique bien avant d'accéder aux codes. Autrement dit, ce contact précoce avec l'écrit, grâce à la diversité des supports et l'ambiance positive autour de l'acte de lire, lui ont permis d'entrer dans une démarche de lecturisation. 627

La mère a bel et bien favorisé cette découverte. Elle le dit d'ailleurs avec ses mots en associant son mari : "Nous, on a toujours voulu qu'ils aiment lire. On a toujours pensé que c'était un plus de pouvoir lire ce qu'on voulait, d'apprécier les livres, d'aller y chercher ce qu'on voulait". Comme on a pu le voir, Camille n'est pas laissée seule et le discours de sa mère ne se limite pas à des intentions mais est bien suivi de faits concrets.

Pour elle, différents moyens doivent être mis à la disposition de l'enfant pour qu'il apprenne facilement à lire. Tout d'abord, il faut qu'il ait envie, qu'il soit motivé pour le faire. Camille a vu et entendu ses frères et sœurs prendre possession de ce code lors de leur apprentissage. Elle est allée sur les genoux de ses parents lorsqu'ils racontaient des histoires. Elle est entourée d'ouvrages lui offrant une grande diversité. Ce désir de lire n'est pas venu tout seul, comme par enchantement, mais l'enfant a su profiter comme ses frères et sœurs de cet environnement social favorable. Madame Col ajoute subrepticement, qu'il y a des enfants "qui sont gênés par des choses et autres et qu'on n'y peut pas faire grand chose au départ". Cette réflexion est floue car elle cache deux tendances explicatives de l'échec ou de la réussite scolaire. Tout d'abord la vision culturaliste qui confère à la culture ambiante de la famille et à ses différents réseaux de socialisation de l’enfant, une responsabilité sur l'appropriation de ses schèmes comportementaux et cognitifs. Le versant naturaliste, de son côté, octroie à l'enfant une certaine innéité à ses capacités de connaissances et ses conduites sociales. Dans son discours, les deux orientations sont présentes. Tantôt, elle insiste sur le côté environnemental de l'enfant en déclarant "je crois que l'environnement est quand même important ", tantôt, elle accentue sur le fait que ses enfants "ont une bonne mémoire", "qu'ils ont l'esprit bien organisé" et "qu'ils sont intelligents". Elle ne se rend pas tout à fait compte que le climat de famille favorable à l'acte de lire qu'elle a instillé, a facilité chez Camille comme chez tous ses enfants aînés l'appropriation du goût de lire. Quand cette maman dit : "je pense que la méthode est importante, ne serait-ce aussi que pour leur donner le goût de lire", elle évoque implicitement tous les moyens qu'elle a mis en place en amont de la classe de cours préparatoire.

En cela, cette famille développe une tendance "précurseur" 628 .Elle s'apparente également à la tendance "entrepreneur". En effet, dans les exemples que madame Col donne au sujet de ses filles aînées, elle montre qu'elle exerce discrètement un contrôle sur l'action enseignante 629 . Même si elle semble très ouverte sur l'éveil global de l'enfant, son action est menée dans un souci de rentabilité et il est souhaitable qu’il sache lire 630 à Noël. Dans tout son propos, la culture doit se travailler sur deux registres, pour le scolaire d'abord, puis par plaisir : "au niveau scolaire, s'ils sont capables d’aller faire une recherche dans un bouquin, c’est quand même beaucoup plus intéressant que de se cantonner à ce que l’on leur a mis sous le nez. Et puis par goût, moi j’ai toujours aimé lire et j’ai toujours pensé que c’était sûrement... un bon moyen aussi d’appréhender le monde, de se faire une idée de ce qu’il peut se passer même si on n’est pas forcément à l’endroit où cela se passe".

Notes
626.

M Je pense que oui, dans la mesure où elle regardait les livres, elle.... un de ses jeux, à une époque, avec sa soeur, c’était d’essayer de se raconter une histoire telle qu’on avait pu leur raconter, en essayant de pas se tromper de pages. Bon, c’était uniquement de la mémorisation, évidemment, c’était quand même, quelque part... elles arrivaient, « regarde, maman, je sais lire », et elle me racontait l’histoire que j’avais racontée la veille. Ça, elles le font assez vite...

627.

Le critère N°13 n'a pas été évoqué explicitement.

628.

Cf. chapitre 3 TOME I concernant les différents tendances typologiques.

629.

Contrairement à la maîtresse qui pensait que ses enfants se débrouillaient très bien, la maman dispensait des cours complémentaires de lecture pour qu'elles aient un meilleur niveau de lecture. Cela dit, madame Col relativise l'époque et n'en veut pas aux enseignantes qui devaient s'occuper d'enfants ayant des niveaux scolaires probablement beaucoup plus bas que ses filles.

630.

M Moi, quand à Noël, ils ne lisent rien, je m'inquiète. En gros , c'est ça.