Geste n° 8

Jérôme, dans son approche du lire, n'a pas vécu de décalage entre sa culture familiale et le monde de l'écrit. Il y a adéquation. L'écrit fait partie à part entière du quotidien de la famille. Il lit parce qu'il éprouve du plaisir et que cela répond sans doute à ses questions. Dans la famille, on lit aussi pour se cultiver et le père en est le modèle incarné que Jérôme a envie, pour le moment, d'imiter. Les parents Franc ont réussi à faire cohabiter la détente et la culture à partir de l'acte de lire. "La lecture, c'est pour une découverte du monde extérieur, du monde qui nous entoure, du monde précédent" dit la maman, affirmant ainsi que cette initiation s'est faite "en s'amusant" avec comme objectif apprendre et connaître le monde et cela, sans forcément réduire l'apprentissage à la maîtrise d'un code.

Il y a bien eu, tout au long des premières années de la vie de l'enfant, une familiarisation de l'écrit qui s'est composée à partir de plusieurs niveaux. Tout d'abord, les parents eux-mêmes ont été bercés dans un milieu qui favorisait l'accès à l'écrit 638 . Le père, comme cela a été décrit plus haut, est un grand lecteur. Ensuite, tout en initiant l'enfant à la pratique lectorale plus fine 639 , ils ont envie de respecter son rythme sans trop le pousser. Il est nécessaire "de lui laisser sa part de rêve" dira la maman. Enfin, la fratrie stimule l'appétit de Jérôme qui a envie d'accéder au statut de grand, de posséder à son tour, ce que ses frères maîtrisent avec une certaine habileté. Paul ( 9 ans) et Damien (14 ans) partagent avec lui des moments de jeux ou d'histoires racontées, permettant à leur petit frère d'avoir le sentiment très fort de partager une même culture. Il a vu et entendu son frère cadet apprendre à lire. Tout cet environnement familial porteur a favorisé son appropriation de l'acte lexique. Ses projets de sens de lecteur ont pu trouver constamment des appuis pour les renforcer. 640

Les deux tendances "entrepreneur" 641 et "précurseur" se retrouvent bien dans cette famille. La première se manifeste notamment par la rigueur du père, les compléments scolaires qu'il peut apporter aux enfants et la coopération active des deux parents dans le cadre scolaire. La seconde se caractérise par la multiplicité des moyens d'actions qui ont favorisé l'éclosion de la lecture très rapidement. Livres en quantité importante, fréquentation très régulière de la bibliothèque, amorce de la découverte des correspondances phonie-graphie, abonnement régulier en sont tous des indices. L'histoire lue tous les soirs et la relation tripolaire où l'enfant se retrouve avec son livre et ses parents en sont d'autres.

Dans un tel contexte, ils lui ont offert une médiation porteuse d'un projet de sens congru avec l'acte lexique. "Il a appris à lire à l'école" dit la maman. Mais, elle rajoute rapidement : "l'école a contribué, mais comme on lui lisait des histoires, on peut dire qu'il appris aussi à la maison", montrant ainsi que les deux lieux d'apprentissage cognitif de l'enfant sont en adéquation.

Notes
638.

M Moi, j’ai des tantes qui étaient religieuses, directrices d’école, j’étais bercée là-dedans, ma soeur est prof, c’est vrai que le milieu enseignant c’est un milieu que je connais bien si on veut aller par là.

639.

P A la bibliothèque, il vient avec moi et a commencé à lire tout seul. Il sait comment sont formées les lettres, il fait une association. — E Vous l'avez fait quand il était petit? — P Vers 3, 4 ans. — E Vous lui avez montré ? — P Oui — E Vous décomposiez ? — P Non pas jusque là. — M Dès fois, quand je lui lisais, je mettais mon doigt. On disait, tu vois ça veut dire /a/ — P On épelait quand même les syllabes. — Et par le son aussi. — E Pourquoi vous faisiez cela ? — P Pour qu’il puisse repérer plus facilement, c'est ça.

640.

Le critère N° 13 n'a pas été évoqué explicitement

641.

Cf. tableau reprenant la typologie des différentes tendance, chapitre 3 TOME I.