19-6 La famille GOURMEL 672 . Raconter des histoires dans le plaisir des mots et des évocations.

‘"Il est absolument certain que ce n'est pas l'école qui a fait ce qu'ils sont dans l'appréhension de la lecture. C'est avant l'école et c'est en parallèle de l'école, c'est la vie de famille. C'est entre nous que ça s'est passé."’

Il aura fallu prendre plusieurs rendez-vous successifs pour obtenir réellement l'entretien de cette famille. Madame Gourmel aurait pu, par sa disponibilité plus grande que son mari, nous recevoir plus tôt dans l'année. Cependant, intéressé par la question traitée, le père tenait également à y assister. Ce fut chose faite et c'est dans leur maison style des années trente, au cœur de la ville de Nantes, que l'entretien se déroula. Le mobilier n'est pas d'un grand style et des magazines traînent dans un coin du salon près de la bibliothèque remplie de livres de tout genre. Assis autour de la petite table de verre du salon, les deux époux s'expriment sans détour, se complétant l'un l'autre.

Thibaud viendra de temps à autre nous rejoindre. Il serait plutôt du genre timide, "un peu fermé pourrait-on dire[...], il va falloir qu'il développe une capacité de communication. Il sera malheureux autrement" 673 . Mais à côté de cela, scolarisé en cours préparatoire dans une classe de C.P./CE1, et "hyper autonome" dans sa façon de travailler, il profite largement des enseignements dispensés à ses camarades de cours élémentaire.

Pour cette famille, la question générique posée 674 en ces termes n'a pas vraiment eu de réponse car dans les faits, l'apprentissage de la lecture n'a pas de réalité puisque que l'enfant savait déjà lire en entrant en cours préparatoire : "il savait parfaitement lire alors moi, si vous voulez, j'ai eu l'impression de ne rien lui avoir appris. C'est un petit peu comme ça. Il connaissait déjà toutes les bases, il savait comment il fallait lire. Il s'était approprié tous les phonèmes tout seul..." 675 . Il n'a pas eu besoin d'apprendre à lire au sens conventionnel du terme, suivre une progression scolaire déterminée à l'aide d'une méthode formalisant étape par étape toutes les connaissances indispensables. Pour Thibaud, tout s'est passé autrement. "On n'apprend pas..... on vit. T'as pas appris, tu as vécu ta lecture", dira le père, s'adressant furtivement à son fils qui vaque à ses occupations enfantines. "L'apprentissage de la lecture, ça s'est fait tellement naturellement qu'on n'a pas eu du tout l'impression d'avoir un apprentissage de la lecture à vrai dire" ajouta la mère. Tous deux sont intimement persuadés que l'apprentissage, et entre autre celui de la lecture, est issu du nombre d'heures passées avec lui, à lui lire des livres pour que les sonorités éveillent en lui l'envie de reproduire le même schéma. Ainsi, ils lui ont donné le plaisir de lire et Thibaud a fondamentalement envie de reproduire les mêmes processus de séduction, de joie et de plaisir personnel. Par conséquent, il fait des efforts pour apprendre à lire, puisqu’il va aimer entendre la lecture de sa mère et son père : "je pense que pour notre fils qui est en CP ou notre fille qui est 2 ans au-dessus, y’a pas eu de sentiment de travail, d’éducation mais de filiation naturelle. J’apprends à lire parce que j’ai tellement pris du plaisir à écouter la lecture de mon père et de ma mère que ça me vient naturellement d’avoir envie de lire". En résumé, il n'y pas eu d'apprentissage formel mais une lente acquisition de l'acte lexique et de la maîtrise du code par une imprégnation culturelle constante. Il est intéressant de voir maintenant quels sont les degrés des différents gestes de médiation parentale.

Notes
672.

Entretien N°49

673.

Propos recueillis auprès de la maîtresse

674.

Quand je vous dis apprentissage de la lecture, qu'est ce que cela évoque pour vous ?

675.

Propos recueillis auprès de la maîtresse