1 / De la question de recherche posée à ses réponses trouvées.

La réussite et l’échec de l’apprentissage de la lecture ne sauraient être réduits seulement à l’impact de la médiation parentale. Les attitudes pédagogiques des maîtres, le désir de l’enfant, sa personnalité, un handicap sensoriel, physique ou mental peuvent être des conditions qui affectent plus ou moins fortement un bon processus d’apprentissage. Néanmoins, la famille, dans son ethos et son habitus culturel a un rôle prégnant. Dans cette étude, avec un souci permanent d’objectivité, nous avons tenté de montrer justement en quoi et comment il l’était. Notre projet est parti de l’idée qu’il était nécessaire de faire évoluer le questionnement sur les conditions d’élaboration de l’apprentissage de l’acte lexique. A l’école, lorsqu’un enfant se trouve en difficulté, on applique une remédiation pédagogique qui, comme son nom l’indique, s’effectue en terme de "guérison", dans un "après coup". La réussite, quant à elle, se constate sans état d’âme, comme si elle était naturelle. Sans ignorer l’importance du vécu familial, on "traite" le symptôme sans réellement le prendre en compte. Bien qu’il y ait adaptation de son comportement en fonction de son environnement, le petit garçon ou la petite fille, allant à l’école maternelle puis primaire, n’est pas tantôt élève, tantôt enfant. Il s’agit bien du même être humain, avec ses composantes psychologiques et culturelles. Il fait aussi partie d’une famille qui le porte et le supporte, assistant comme acteur ou spectateur de son évolution cognitive. Elle est là, lui donnant avec plus ou moins de maladresse ou de compétences, des moyens pour qu’il puisse construire sa personnalité affective et cognitive. Comment le prépare-t-elle et quels points d’appui lui propose-t-elle ? En tant qu’enseignant, nous ne pouvons pas rester insensible à cette interrogation.

Le cadre méthodologique avait pour objectif de donner au maximum la parole aux parents. La répartition, tout d’abord en deux populations distinctes d’enfants, s’est appuyée sur des résultats échelonnés d’un point de vue statistique. La sélection des plus "forts" et des plus "faibles" a permis le choix des parents. Leur rencontre a mis en évidence l’état des représentations et des actions mises en place avant le C.P. et celles qui ont cours. Toute l’analyse a été fondée pour trouver des explications les plus fines possibles, en s'orientant vers une description et une compréhension de la relation médiationnelle qui se jouait. Nous savons bien ce que parler veut dire et leurs propos, quels qu’ils soient, n’ont dévoilé qu’une partie, à l’étranger que nous étions, de ce qui pouvait être avouable. Cela n'a nullement empêché leur sincérité. L’analyse, à l’aide des critères choisis, opérationalisant les gestes de médiation, donne des arguments singuliers et ne s’apparente pas à une conception macrosociologique où, justement, ce qui est particulier à tel ou tel parent risque de se perdre dans un cadre chiffré plus global.

Il s’agissait plutôt, par notre hypothèse et la concrétisation en termes de gestes de médiation, de montrer, suivant les populations concernées, que des familles, dans le concret du quotidien, mettaient en place, à des niveaux de résolution divers, des gestes de médiation. Compte tenu des différents paramètres retenus, il est maintenant admis que l’appropriation des habiletés indispensables à l’acte lui-même dépend des conditions d’élaboration de l’apprentissage de l’acte lexique proposées par la famille avant que l’enfant n’entre en cours préparatoire. On remarque aussi que, lorsque la médiation parentale est porteuse d’un projet de sens congru à l’acte lexique, il y a réussite de l’enfant . Cette recherche a permis de mettre en évidence qu’apprendre à lire n’est pas un acte s’inscrivant exclusivement dans le champ linguistique, psychologique ou sociologique mais bien dans la complexité des relations entre les trois.

L’action parentale dans la relation enfant-acte lexique a donc bien un impact. Les parents l’aident peu ou prou à se l’approprier, en assurant une médiation entre l’écrit et lui. Implicitement ou explicitement, ils mettent en œuvre un style, des postures éducatives, efficaces ou non qui s'inscrivent dans la durée entre la naissance et ses six ans. L’enfant non seulement se constitue un sens de l’écrit, mais il élabore en même temps des habiletés mentales (conscience phonologique, métalinguistique, repérage dans le temps et l’espace, construction de liens, capacité d’abstraction, discrimination etc.). Ainsi, il prend conscience de la valeur de l’écrit et de sa signification intrinsèque ; son être-au-monde ne peut qu’évoluer. D’une manière générale, plusieurs constats peuvent désormais être posés. Le tableau ci-dessous les synthétise.

  1. La participation de la famille dépend de ses représentations.
  2. La construction des liens avec l’acte lexique dépend des vécus.
  3. L’appropriation du code et du sens de l’acte lexique dépend du degré émotionnel du contexte familial.
  4. Du statut affectif et cognitif de l’enfant dans sa famille dépend sa réussite.
  5. La réussite dépend du respect de la filiation historique de l’enfant et du vécu "lectoral" de la famille.
  6. Le cadre socio-économique de la famille n’est pas un indice essentiel favorisant l’appropriation de l’acte lexique.
  7. Etre enfant d’enseignant favorise l’accès à la connaissance et au maniement de l’acte lexique.
  8. La réussite dépend de l’habitus culturel familial.