3 / De la nécessité de renforcer le lien entre l’école et la famille.

Longtemps dans l’histoire, on pouvait considérer que l’action des parents s’arrêtait aux portes de l’école et que le pouvoir du maître s’estompait à sa sortie. En somme, peu de communication entre parents et enseignants et, par ricochets, très peu entre les deux univers respectifs. Depuis peu, sans doute avec la conscience que tous deux doivent de plus en plus se rapprocher pour le bien de l’enfant, on perçoit des signes en faveur de construction de liens. L’initiative du ministre de l’éducation dans le courant de l’année 1998-1999 par "La semaine de la famille à l’école" en est un exemple, les " actes de la lecture" 684 en est un autre. L’état, sous la pression des idées et des actions entreprises aux seins d’écoles et d’associations, officialise, en quelque sorte, l’idée selon laquelle la cohérence culturelle entre les deux milieux favorise un autre rapport, en général, au savoir et, en particulier, à l’apprentissage de l’acte lexique. Les sollicitations diverses dans les années quatre-vingts pour l’installation ou la modernisation de bibliothèques de quartier et municipales ont aussi favorisé, ce qu’on pourrait appeler la "décontextualisation" de la lecture.

L’enfant n’est pas qu’un simple écolier, circonscrit seulement dans une relation qu’évoque le triangle pédagogique.

Le triangle Pédagogique
Le triangle Pédagogique

Il est sûr, comme le souligne Jean HOUSSAYE, qu’il existe bien à l’intérieur même de l'enceinte scolaire, une triangularité qui s’installe entre Savoir, Maître et Apprenant. D’ailleurs, n’est-elle pas présente en toute situation d’apprentissage, indépendamment du lieu ? Dans l’action d’éduquer ou instruire, ces trois pôles ont une réalité et sont incontournables. Chaque côté de ce triangle représente un processus particulier. Il fonctionnerait, selon l'auteur, sur le principe du tiers exclu c'est à dire, qu’en privilégiant une relation particulière on exclut forcément l'un des trois pôles, qui ferait "le fou" ou "le mort". Cette relation s'installe dans trois processus particuliers. Dans "Enseigner", entre les deux pôles, Enseignant et Savoir, la relation privilégiée est celle du Savoir-Professeur. Le maître est alors centré uniquement sur le contenu. Une pédagogie trop orientée sur ce versant risque, à tort, d’oublier l’apprenant ; ce dernier alors "fait le mort" – reste passif- ou "fait le fou" – dérange le cours par des procédés divers-. Dans "Former", entre les deux pôles Enseignant et apprenant, le professeur exclut d'emblée le rapport au savoir et privilégie la relation Enseignant-Apprenant ; du coup, c’est le savoir qui "fait le mort". Enfin, le processus "Apprendre", entre les pôles Apprenant et Savoir, favorise la relation entre les deux. Là, l’enseignant est, quelque part, l'organisateur de situations pédagogiques où il met directement en contact élèves et savoir. Lui-même n'est plus le médium direct par lequel passe cette connaissance. Ce modèle théorique des relations lors d’apprentissage, rappelé dans ses grandes lignes, a le mérite de décrire avec finesse toutes les implications pédagogiques et éducatives. Des postures vis à vis du savoir, de la façon de le transmettre ou de le médiatiser favorise des comportements de désir ou de rejet de la part des apprenants. L’enseignant ou, plutôt, l’école prend alors toute sa part de responsabilité, suivant qu’elle adopte plus ou moins fortement tel ou tel type de pédagogie.

Cependant, dans le cadre plus particulier du jeune apprenant, un quatrième pôle surgit, dont on commence à parler aujourd’hui. Comme nous l’avons développé longuement lors de cette étude, la famille, avec son ethos et son propre rapport au savoir, forme bien ce quatrième pôle de la relation éducative, lorsque l’école prend en charge une partie de l’instruction et de l’éducation de l’enfant. On ne peut s'y soustraire, dans la mesure où l'apprenant vit à l’école avec sa propre référence culturelle qui, le plus souvent, est en lien, notamment pour les plus jeunes, avec son vécu familial. On imagine donc un nouveau modèle théorique, où la famille trouve sa juste place dans les relations pédago-éducatives, sans avoir essentiellement la place du "fou" ou du "mort". Encore faut-il, pour cela, que le Savoir ait le même sens pour ces deux univers, qu’il ne soit pas une ligne de démarcation servant à délimiter deux espace-temps, opposés à tel point qu’il suscite l’un pour l’autre violence et mépris. Pour envisager leurs rapprochements culturels possibles, il est nécessaire d’inventer des situations où l’un et l’autre partenaire puissent apprendre à se connaître, s’estimer, se faire confiance, partager leur culture sans impérialisme de l’une sur l’autre. Pour ce faire, les savoirs fondamentaux, c’est-à-dire le "lire", "l’écrire", "le compter" et "le parler", ne doivent pas être désincarnés des cultures familiales. Au contraire, ces dernières peuvent servir de point d’appui, comme le montrent les articles diffusés dans la presse 685 pour l’unique année scolaire 1998- 1999.

Le polygone de la co-éducation
Le polygone de la co-éducation

Dans ce modèle, de nouveaux processus sont en jeu ; entre professeur et la famille, "le processus  Communiquer". Cela sous-tend que les partenaires co-animent, en ayant au moins quelques références communes sur les objectifs à poursuivre, et autant que possible, sur la façon de les mener. Comme chacun est fondamentalement différent par ses compétences, la place qu’il occupe, l’autorité symbolique qu’il détient vis à vis du jeune apprenant, il est donc nécessaire que tous deux se fassent mutuellement confiance, afin que l’enfant ne se retrouve pas l'otage d'une situation dont il ne sortirait pas gagnant. En effet, ce dernier n'est pas suffisamment construit psychiquement pour faire une analyse critique d'une situation de conflit entre deux adultes référents pendant des moments différents de la journée. L'injonction contradictoire et paradoxale est à éviter car il risquerait de se retrouver dans un conflit interne qui se manifesterait par une passivité ou une hyperactivité. Autrement dit, il est nécessaire que le parent montre qu'il est d'accord avec l'enseignant, et inversement, et qu’en cas de désaccord, il s'adresse réellement à la personne intéressée, sans se servir de lui comme facteur de ses revendications. Cela n'a l'air de rien, mais des petits mots, du style "Je ne suis pas d'accord avec la réflexion que vous avez mise sur le cahier de correspondance" ou "l'instit de CM1 est très dur avec les enfants", peuvent créer des perturbations chez l'enfant qui perd quelque peu ses cadres habituels de références.

A écouter les enseignantes rencontrées lors de cette étude, il semblerait qu’il reste beaucoup à faire en matière de communication. L'essentiel, pour ces professionnelles, est de maintenir constamment un dialogue ouvert avec les parents, d'établir un climat de confiance et de communication, notamment avec ceux qui sont en rupture avec l'univers scolaire ; ce n'est pas facile et parfois impossible (barrière de la langue, échec scolaire des parents, écart culturel entre école et famille trop important, peur de l'institution école etc.). La plupart ne se satisfait pas de la réunion d'informations qu'elles proposent juste après la rentrée scolaire. Pourtant, elles ont le souci d'inventer autre chose, mais la charge professionnelle ne leur permet pas toujours de s'arrêter pour penser une meilleure communication. Les parents, de leur côté, sont demandeurs de plus d'informations, mais comment harmoniser au sein de l'univers scolaire des rencontres régulières et constructives pour les partenaires de l'enfant ? Quels styles de communication mettre en œuvre (réunion de classe, entrevue individuelle, fête, débat - discussion, échanges multiculturels, etc. ) ? Quels partenaires trouver pour élaborer et animer régulièrement ces rencontres ? Tout ne peut être demandé à l'enseignante qui a la charge pédagogique de sa classe. Des intervenants extérieurs, (psychologue, animateur socioculturel, travailleurs sociaux, artistes et autres) à partir d'un projet concerté, peuvent offrir des solutions adéquates pour élaborer du lien social entre les univers d'apprentissage de l'enfant. C’est en ce sens que l’école ne peut être le sanctuaire du savoir et du savoir-faire ; elle doit être ouverte à toutes les personnes désireuses, spécialistes ou non, de faire partager son savoir, sa culture, pour que les apprentissages fondamentaux puissent "prendre racine" dans un quotidien réfléchi et partagé.

A notre sens, devant la solitude des difficultés de communication rencontrées et les décalages culturels existants, le travail en équipe pluridisciplinaire peut être une réponse, à condition qu'il soit orienté vers des projets dont on puisse, à plus ou moins long terme, mesurer les effets. L'école ne peut pas être son propre recours. Ni le parent modèle, ni même l'enfant modèle, heureusement, n'existent ; comme à l'hôpital, il n'y a pas de malade modèle. Chaque être humain est sa propre histoire, et dans une société où l'on exige de l'autre des informations, il est nécessaire d'inventer de nouveaux échanges interpersonnels. La famille sera alors considérée comme un véritable allié, pour aider l'enfant dans sa découverte du monde et des choses.

Type
de rencontre
Objectifs généraux Qualités exigées
Réunion
de
classe
* Informer les parents de façon générale sur
la conduite pédagogique de
l’année (information, débat).

* Accueillir les parents (verre de l’amitié).
* Connaître parfaitement
les objectifs de la classe
et les projets.

* Etre disponible aux parents.
Rencontre
individuelle
formelle

* Dialoguer avec les parents
sur un problème spécifique.
* Ne pas réduire l’enfant
aux aspects scolaires.
* Savoir écouter et ouvrir des pistes
Rencontre
individuelle
informelle
La rencontre de proximité (le bonjour, le bonsoir)
* Favorise la confiance et l’estime de soi de chacun des interlocuteurs.
* Renforce la mise en confiance de l’enfant.


* Etre disponible aux parents.
Les équipes
éducatives
* Rassembler les partenaires (assistante sociale, médecin scolaire, psychologue, éducateurs ; orthophoniste, instituteur spécialisé) de l’enfant en souffrance, sous l’initiative du directeur de l’école..
* Cerner la problématique de l’enfant.
* Proposer des solutions.
Rencontre d’information
ou de formation
* proposer quelquefois dans l’année des temps de réflexion sur un thème précis ( 1 heure, 1 thème), (La leçon du soir, l’apprentissage de la lecture, l’accueil des petits à la maternelle, etc.)
* Connaître le thème
* Savoir animer le débat autour de
la question traitée.
Les portes
ouvertes
* Ouvrir l’école aux parents pour qu’ils puissent comprendre ce qui s’y passe. * Etre disponible aux parents
* Connaître les objectifs visés
pour telle ou telle activité proposée
Les parents
« experts »
* Demander à des parents de venir en classe faire découvrir ce qu’ils connaissent et savent faire. (L’infirmière explique aux enfants son métier, le boulanger montre comment il pétrit la pâte). * Etre disponible aux parents
* Faire confiance
* Formaliser en écrit (dessins,
photos, histoire) ce qui a été vu.
L’heure du conte * Inviter des conteurs (parents, enfants plus âgés, artistes) à venir raconter régulièrement des histoires. * Organiser la rencontre.

Différents écrits peuvent aussi circuler entre école et famille ( le cahier de vie, le cahier de liaison, les affiches et invitations réalisés par les enfants, les menus du jour ou de la semaine, le cahier de travail du soir, etc.). Cette récapitulation ci-après des différentes rencontres est loin d’être exhaustive et demande de la part de l’enseignant une disponibilité et une grande ouverture d'esprit.Cela n’est pas dû à tous d’organiser telle ou telle rencontre, et c’est la raison pour laquelle il est nécessaire que l’équipe pédagogique à l’intérieur de l’école et les réseaux de professionnels (Assistants sociaux, orthophonistes, etc.) doivent pouvoir travailler ensemble dans ce même souci d’écoute de la famille et de l’enfant.

Notes
684.

Ils ont été organisés à Nantes sous l’autorité du M.E.N. à Nantes courant mai 1999

685.

JEANNIOT ( M. C.) .- Vive les parents qui vont à l’école.- in LA VIE HEBDO, N° 2802, du 13 au 26 mai 1999, pages 20 à 25. KLOTZ (E.) .- Ecole contre parents ? .- in Education Enfantine, N°1004, 3 novembre 1998, pages 4 et 5.

ELBAZ (J.) .- Une école ouverte sur la vie .- in Education Enfantine, N°1004, 3 novembre 1998, pages 62 à 66

POLLET (D.) .- Favoriser une cohérence éducative .- in Education Enfantine, N°1004, 3 novembre 1998 pages 66 et 67

SEVERAC (J.) .- Un même enfant dans la famille et l’école .- in Education Enfantine, N°1004, 3 novembre 1998 pages 68 à 70

LEBRETON (N.) .- Co-éducation, entre parents et école, la concertation est primordiale .- in Famille et Education,, N° 419, mai 1999, pages 36 et 37.

BOYAVALLE (I.) .- L’école des trois sources.- in Famille et Education,, N° 419, mai 1999, pages 40 et 41