ANALYSE. La FAMILLE BERDAUT 698 , Une présence naturelle près de l’enfant pour lui donner envie apprendre.

‘« Je pense surtout qu’un enfant quand il apprend bien, c’est qu’il est intéressé par ce qu’il apprend »’
  • Résultats au E 20: Note Générale: 12 - Nlg : 10 - Nlf: 2 - D.A.: 3 - Tps : 16 minutes
  • Les enfants : Kévin ( 4 ans ), Lucie( 6 ans )
  • Le père : séparé de la mère depuis quelques mois.
  • La mère : titulaire d’un CAP et BEP secrétariat, elle travaillait avec son mari dans un garage. Elle est mère au foyer actuellement et cherche un emploi. Née en 1959.
  • Divers: Propriétaire de sa maison, salaire mensuel moins de 6000 francs
  • Milieu Rural.

Dans sa petite maison perdue dans la campagne, madame Berdaut vaque seule à ses occupations domestiques. Elle s’est séparée depuis peu de son mari. Ils tenaient tous les deux un garage, lui s’occupait de la mécanique, elle du secrétariat. Depuis la séparation, elle vit avec "largement moins de 5000 francs" par mois dont il faut retirer une partie pour payer les mensualités de remboursement d’emprunt de la maison. L’herbe pousse follement aux abords de cette petite maison plantée au bout d’un petit village. Seul un petit grillage la sépare de la route. Une caravane attend, là, un éventuel acheteur qui se perdrait dans les routes sinueuses de cette campagne. Madame Berdaut nous accueille dans la salle à manger salon où un désordre relatif règne. Tout semble rangé sans ordre dans un mobilier sans unité ; là, des étagères près de la fenêtre avec des livres, là des papiers empilés sur la table du salon, là encore une petite télévision près de la chaîne HI-FI un peu démodée. On entend le sifflement de la cocotte minute dont la soupape de sécurité commence à tourner. Cette pièce de vie n’est séparée de la cuisine que par un bar. Sur un mur, un calendrier noirci par les annotations étalées dans le temps. Installée autour de la grande table de verre, madame Berdaut se prend au jeu des questions en voulant répondre avec le plus d’exactitude possible. Elle nous confie aussi sa solitude même si elle ne fait pas mention directement de son mari. Kévin et Lucie vivent donc avec leur maman et rencontrent leur père "quelques heures le samedi après-midi", une fois toutes les deux semaines en présence de la mère. Lucie n’a pas une bonne image de lui, car, d’après la maman, "elle en a beaucoup souffert[...]". "C’est sûr qu’elle n’a pas la relation qu’elle avait avec lui avant. C’est différent, ça, c’est certain" dit-elle en substance.

Toutes ces difficultés familiales n’entravent pas la bonne marche scolaire de Lucie qui obtenu 96/100 au dernier contrôle. "C’est vrai que cela fait plaisir quand on voit ça" dit la maman, souhaitant que sa fille "trouve un boulot intéressant" quand elle sera plus grande. "Donc, c’est vrai,[elle] la pousse". Mais à l’entendre, elle le fait naturellement en l’accompagnant dans toutes menues découvertes : "à l’école, on apprend beaucoup de choses, mais il y a beaucoup de choses qu’on fait apprendre à la maison sans vraiment que ce soit un apprentissage, une prise de tête où..... c’est à dire, d’une façon naturelle.... poser des questions". Elle est donc à l’écoute et prend le temps de fouiller avec sa fille dans l’encyclopédie familiale ou dans « FOCUS » pour mettre des mots sur les rencontres 699 inopportunes de la vie. A ses dires, elle a commencé tard à raconter de façon régulière des histoires à sa fille. Quand elle dit, à un moment "avant trois ans, [pour elle], ils sont trop petits, ils ne comprennent pas ", elle fait allusion aux grandes histoires 700 , mais au fil du discours, nous apprenons qu’avant, elle en racontait des plus courtes demandant beaucoup moins d'attention de la part de l'enfant. Cela ne l’empêchait pas non plus d’être attentive à toutes les questions posées, "c’est un peu saoûlant" confie-t-elle mais "[elle] 701 n’aimerait pas avoir un enfant léthargique, qui s’intéresse à rien ".Dans tous ce jeu de questions-réponses entre la mère et l'enfant augurent un dialogue, une dynamique culturelle tournée vers le monde des connaissances. Ainsi, le langage oral simple et le rapport aux livres devant des questions difficiles permettent d’accroître chez l’enfant comme chez la mère leur connaissance du monde et des choses. Mine de rien, sans tambour ni trompette, elle conduit sa famille dans une dimension axiologique. L’encyclopédie, ainsi que les FOCUS 702 sont accessibles à l’enfant, ils ne sont pas juchés en haut d’une étagère comme une citadelle interdite et imprenable.

Apprendre à lire, c’est pour donner du sens aux choses de la vie. L’évocation de l’apprentissage de la lecture est directement assimilé à la lecture du message ou de l’information et non au décodage grapho-phonétique auquel cette maman ne fera pratiquement pas du tout allusion pendant l’entretien. Quand elle répond à la question générique - le terme apprentissage de la lecture qu’évoque-t-il pour vous ? - elle met tout de suite en scène sa fille et le livre : "elle (Lucie) prend énormément de petits livres parce qu’on est adhérent de la bibliothèque, c’est très varié. Donc c’est l’apprentissage de la lecture". La structure de projet de sens de l’apprentissage de la lecture n’est pas tournée sur le code mais sur ce à quoi il sert. La connaissance tout azimut du monde et des choses est la finalité même de l’apport de la lecture et c’est comme ça que Madame Berdaut l’envisage. "[Elle] pense que ça aide beaucoup les enfants le fait d’avoir des livres". Et pourtant, l’enfant ne possède "qu’une dizaine de livres, et ce sont des "Caroline" et des "Martine"[...] qu’elle commence à lire seule". Le reste est pris à la bibliothèque où elle se rend avec ses deux enfants « toutes les semaines ». Elle y prend "3 ou 4 livres" qui seront lus, soit par l’enfant, soit par la mère. Cette dernière distingue bien les choses. Tout d’abord, "quand Lucie rentre de l’école [...] donc, on fait la fiche de lecture. [Ensuite], après le soir, au moment de les coucher, on va prendre le temps de faire ça, on prend a peu près ¼ d’heure pour faire cette lecture là. C’est une lecture plaisir, c’est pas "il faut que tu lises ça". Ah non ! Non ! Pas du tout, c’est eux d’ailleurs qui demandent". Du livre documentaire en lien 703 avec la vie de l’enfant au petit conte de la littérature enfantine, tout est bon pour l’enfant qui pioche son bonheur de lire dans les rayonnages de la bibliothèque municipale. Le petit frère suit, entraîné dans la découverte de sa soeur. Le soir, une complicité 704 s’installe entre le livre, la mère et l’enfant. C’est ainsi que l’imprégnation lectorale s’installe petit à petit dans la vie de l’enfant. Faute de moyens financiers," en général, ce n’est pas donné déjà, et c’est vrai que cela fait reculer un petit peu", Lucie ne bénéficiera pas d’un abonnement à la maison. Elle se contentera de les emprunter à la bibliothèque municipale.

Le travail scolaire est fait assidûment "les deux fois par semaine" qu’elle en a. La maman, attentionnée par les exercices à effectuer, reste près de sa fille pendant le ¼ d’heure consacré à cela sans rajouter d’exercices supplémentaires. Pendant ce temps, Kévin (4 ans) regarde sa grande soeur ou sollicite sa maman pour qu’elle s’occupe de lui ; bien normal, à cet âge, on a du mal à partager sa maman. Le jeu de Lucie est également partagé avec sa mère quand le temps ne le permet pas. Depuis qu’elle manipule d’avantage le code alphabétique, elle légende elle-même ses dessins. Et toujours dans une écoute active, la mère corrigera les petites maladresses orthographiques 705 . Le monde des connaissances, les sciences naturelles, la physique, la chimie etc. ne se sont-ils pas construit, à l’instar de Lucie, dans le tâtonnement expérimental et l’erreur ?

Nous apprenons même qu’on lui a offert "un autre ordinateur, un peu plus sophistiqué que ce qu’elle avait avant". Depuis un certain temps déjà, elle est au contact de l’écrit non seulement avec le support traditionnel le livre mais également l’ordinateur. Elle aimait pianoter sur l’ordinateur de l’entreprise familiale quand cette dernière fonctionnait. Cela met en évidence que cette enfant a bénéficié très tôt d’un bain scriptural, et manipulait déjà au travers d’outils ludiques ou professionnels l’abstraction de la désignation. Avec l’ordinateur, Lucie construit petit à petit ses clés de compréhension du monde magique de l’écrit. En commençant à ordonner très tôt des "lettres sur des cubes de bois pour former des mots", elle apprend maintenant à manipuler le code de l’écrit sur son petit ordinateur "Ingénius". "L’orthographe, le vocabulaire, le calcul, il y a plein de choses dessus" ajoute cette maman montrant qu'elle connaît bien le jeu dont elle fait référence.. Quant à la télévision, on semble privilégier la cassette cadrant bien le sujet, où le dialogue s’installe au détour d’une scène.

Cette mère, seule, pare à l’éveil lectoral de sa fille. L’école, dans son discours, tient toutefois une place importante. L’essentiel, pour que les enfants soient intéressés, et ce sont les qualités qu’elle lui donnera, se trouve dans "une bonne méthode[...], une maîtresse ouverte" et de la variété dans la présentation des apprentissages. Elle donnera donc toute sa confiance à l’institutrice qui est "une bonne maîtresse, très gentille [leur faisant] faire des sorties éducatives" auxquelles elle participe pour encadrer le groupe. L’allusion qu’elle fait concernant la sortie de la ferme et la visite du musée des beaux arts est loin d’être neutre. Mis à part le fait que cela lui permet de s’enrichir en sortant de chez elle, elle montre au-delà même de l’apprentissage de la lecture que tout apprentissage doit être tourné vers le sens de la connaissance. Nous sommes loin des considérations du code. Le projet d’apprendre est orienté vers une fin en soi. Et à partir de la visite de la ferme, les enfants écriront, et liront. De la visite au musée des beaux arts, les enfants dessineront, peindront à "la manière de", ou imagineront. Cela rejoint ce que nous disions plus haut, à savoir que l’apprentissage, comme celui de la lecture, est pas uniquement tourné sur le code mais sur ce à quoi il sert.

Madame Berdaut entraîne son enfant dans une logique de sens tournée résolument vers l’avenir : "je lui dis, il faut que tu apprennes bien ces choses là, parce que plus tard, ça te rendra service. Elle me dit « Ah bon! je ne sais pas. ». Le pense-t-elle vraiment? Je l’espère". Nombreux sont les parents formulant cette expression pour montrer l’ultime finalité des apprentissages. Quand on sait que les enfants vivent le temps présent et que la dimension temporelle d’un futur éloigné les dépasse totalement, il peut-être vain, de s’exprimer de la sorte. Mais, leurs questions existentielles, sans la maîtrise apparente du temps passé et futur construisent leur personnalité existentielle. Et là, madame Berdaut, dans toutes les occasions d’apprendre, dans les questions paraissant anodines de son enfant, donne du temps d’écoute, et d’accompagnement. Elle médiatise le monde de la connaissance et de l’écrit pour que sa fille s’installe des repères spatio-temporels et de communication. Ces attitudes sont tellement naturelles, remplies de bon sens qu’elle s’étonne même d'en être à l'initiative. Elle fait preuve de modestie en souhaitant humblement être actrice du développement cognitif de sa fille : "J’espère que ça vient aussi d’un petit peu de moi, aussi ".

Elle a peut-être une tendance " conformiste" 706 sur certains points parce qu’elle délègue au pouvoir enseignant et qu’elle n’a pas proposé à sa fille une méthode d’apprentissage de lecture avant l’heure. Cependant, par son souci d’éveil à la culture et par la relation qu’elle tisse entre elle, sa fille et l’écrit, elle se rapproche sur d’autre points des "précurseurs". D’aucun pourrait dire que cette enfant, vues les difficultés familiales qu’elle a rencontrées fait du surinvestissement scolaire. Tout parent ne dit-il pas de son enfant comme cette femme "son plaisir, c’est de me faire voir en fait qu’elle apprend, qu’elle réussit à peu près à lire couramment" ? Surinvestissement scolaire de l’enfant ou pas, cette maman développe des attitudes en cohérence avec l’apprentissage de l’acte lexique.

Cet histogramme 707 illustre bien l'ensemble des gestes de médiation que cette maman, malgré ses difficultés financières et d'isolement met en place pour l'apprentissage cognitif de sa fille.

Notes
698.

Entretien N°2 issu de la pré-enquête faite dans le courant de l'année scolaire 1996-1997

699.

« ... L’autrefois, on a vu un serpent, dehors. Elle voulait savoir ce que c’était. Bon j’ai des encyclopédies. Donc, on a repris les encyclopédies et regardé serpent, toutes les sortes de serpents. Elle aime bien aussi se plonger dans les... Bon, j’ai aussi des "FOCUS" aussi. Ça commence à l’intéresser. L’histoire du temps, comment ça se passe, ce sont des livres qui sont très bien faits aussi. Donc, je lis un petit peu ce que c’est les nuages, tout ça. C’est varié.... »

700.

« E Vous dites que vous avez raconté des histoires, il y a simplement depuis le début de la rentrée de la maternelle ? – M Oui. – E Avant vous ne le faisiez pas.– M Ah si, c’étaient des petites histoires mais pas de grandes histoires comme maintenant.... »

701.

Elle parle à la première personne (changement de la formulation pour une meilleure compréhension du texte)

702.

Encyclopédie sur la nature.

703.

«  E Ce ne sont que des livres de lecture pour des histoires ou cela peut-être des livres de découverte de quelque chose ? – M Oui tout à fait. — E Par exemple ? — M Oui, le livre de l’éléphant, parce qu’ils avaient parlé d’éléphant en classe. Donc elle a trouvé à la bibliothèque un livre sur les éléphants, donc c’était la vie des éléphants en Afrique, c’était vraiment un beau livre, les autres sont beaux aussi, c’est vraiment le livre déjà fait plus pour adulte. Vraiment avec toute la vie... »

704.

  « ... Ça dépend des livres, il y’en a qui sont vraiment trop longs avec des textes, y’a quand même pas mal de pages, donc c’est avant de se coucher qu’on raconte l’histoire. Si c’est vraiment trop long, je n’en raconte que la moitié et on continue le lendemain.... »

705.

« ... Des dessins, des machins comme ça plus que son frère, elle a toujours aimé ça, d’ailleurs je peux vous dire c’est tous les jours que, j’en ai un paquet derrière, c’est tous les jours que j’ai droit à un dessin avec. Elle fait des écritures, par exemple hier, c’était « c’est la fête du muguet ». Je ne sais pas comment elle a marqué ça, mais c’est vrai ce qui est marrant un petit peu, c’est que quand elle fait des phrases comme ça, elle le fait selon ce qu’elle entend. L’orthographe, ce n’est pas ça, c’est ça que j’aime bien moi. En fait, ce seront des souvenirs pour plus tard. Bon le muguet G A I T, enfin bon, on s’en fiche. Alors là, à ce moment là elle me dit, t’as vu ce que j’ai marqué c’est bien ? Je lui dis que c’est très bien mais par contre muguet ça ne s’écrit pas comme ça. Alors je lui remets le mot. Des fois, elle s’en rappelle et d’autres fois elle ne s’en rappelle pas. Je lui fais quand même la phrase pour bien lui faire voir que ça s’écrit pas comme ça. La façon dont elle a marqué, c’était très bien, j’ai réussi à le lire mais ce n’était pas écrit comme ça... ».

706.

Cf. tableau reprenant la typologie des différentes tendances dans le chapitre 3 TOME I

707.

Le père étant absent du foyer, le critère N°12 ne pas être pris en compte.. Le critère 4 n'est pas suffisamment explicite pour être retenu et visualisé.