Entretien n° 30 avec Famille MEKAN

Le 28 mars 1998

E Apprentissage de la lecture, qu’est-ce que cela évoque pour vous ?

M Moi, je pense que le terme est péjoratif. Ça fait un peu technique, quand on parle d’apprentissage, on image des techniques bien élaborées, je trouve ça gênant. Pour moi l’enfant il apprend différemment. Il s’imprègne petit à petit plutôt qu’il apprend.

E Allez plus loin... ça peut être... l’apprentissage formel c'est un non sens...

M Non, mais il passe après une imprégnation. Je pense qu’il y a des étapes successives. Tout dépend aussi de l’enfant, de son tempérament, s’il est exécutant ou plutôt fantaisiste...

E En même temps, pensez-vous que tout se passe de façon naturelle ?

M Non mais y’a des tas de paramètres en jeu. Des paramètres familiaux aussi. Y’a des parents qui sont tellement obsédés par l’apprentissage proprement dit que, finalement ils ne se sentent pas capable d’être proche de l’enfant. Ils attendent le CP pour que l’enfant apprenne alors que finalement on peut parler de ça avant, 2 ans 3 ans.. Je crois qu’on n’en parle vraiment, c’est l’enfant qui décrypte lui-même des choses... Par exemple, il regarde une affiche dehors, il dit : « tiens qu’est-ce qu’il y a là-dessus ? » Il ne parle pas de lettres d’abord, il dit : « qu’est-ce qu’il y a marquer ?, qu’est-ce que ça veut dire ? ». Et petit à petit, quand on répond, plus ou moins patiemment parce que quelquefois on ne se rend pas compte que c’est primordial, je crois, qu’il se rend compte que petit à petit, de ce que les choses veulent dire, et ça se met en place comme ça. Ça peut être n’importe quoi, un paquet de lessive, une BD, n’importe quoi...

E Par là, il y a quelque chose de naturel qui s’installe chez l’enfant ?

M Oui, à partir du moment où les conditions psychologiques sont réunies.

E C’est-à-dire.

M Je ne suis pas assez qualifiée, mais j’entends une ambiance familiale assez détendue sans trop de perfectionniste, c’est-à-dire, je ne sais pas comment expliquer cela...

E Sans autoritarisme ?

M Sans trop d’autoritarisme oui, et une certaine fantaisie, un sens de ce qui vient comme ça, sans définir d’étapes successives, à tel âge il devra faire ci, faire ça, si il marche en retard, on s’en fiche, s’il parle en retard, après tout, ça n’a pas d’importance et les choses viennent... on est à une époque où tout est très très balisé, y’a énormément de cadres définis, de concurrence... Et donc les gens sont très anxieux.

E L’apprentissage de la lecture, c’est pas forcément un non-sens mais il y a quelque chose qui vous fait dire qu’il y a un certain paradoxe dans le terme d’apprentissage de la lecture?

M Oui. Effectivement, tous les ministres en parlent, c’est très institutionnel l’apprentissage de la lecture. Alors que ça devrait être instinctif avec une certaine maturité.

E Et qu’est-ce qui peut faire que cela se développe tranquillement ?

M Chaque cas est complètement différent de toute façon, pris dans son cadre. C’est peut-être plus difficile pour les instituteurs qui sont obligés de parler d’apprentissage parce eux sont face à une classe de 30 enfants qui proviennent de cadres différents, pas forcément de milieux différents. Je ne pense pas que c’est une question de milieux mais plus d’équilibre familial. Y’a des enfants qui se débrouillent très bien alors qu’ils ne vivent pas dans un cadre exceptionnel.

E Vous attribueriez une réussite à l’apprentissage de la lecture à un cadre familial ?

M A une ambiance familiale, je dirais.

E Comment est-ce que vous pouvez la décrire cette ambiance ?

M Je ne sais pas... Comment dire ça. Une ambiance chaleureuse, où l’enfant peut poser certaines questions quand il veut, il ne se sent pas bridé, il ne se sent pas jugé, il ne se sent pas... il ne se sent pas jaugé. On le laisse évoluer à son heure. S’il y en a un qui lit moins vite que son frère, on ne se pose pas trop de questions et... C’est un peu ça.

E Quand est-ce qu’il a commencé à apprendre à lire ?

M Tous mes enfants, j’en ai 4, entre 15 ans et 6 ans, ils ont appris en fin de grande section, ça s’est déclenché à ce moment là. Ils ont commencé par poser des tas de questions, et finalement ça s’est déclenché au moment de l’été, on est plus détendu à ce moment là, et on prenait un temps pour lire des livres avec lui, surtout moi car mon mari n’a pas trop le temps, il n’est pas très porté vers la lecture. Il choisissait quelques livres finalement, et on a lu pas mal de "oui-oui" et "mali-malou" c'est du syllabique, après coup, je ne leur donne pas ça tout de suite, après coup je me dis ils sont capables de lire un peu ça. Je lis trois lignes et puis lui, il lit deux lignes et après je lis 3 lignes et il puis quand il en a assez j’arrête, je fonctionne de cette fonction là, ça fait un peu apprentissage ce que je dis là... C'est un peu technique mais ceci dit, ce n’est pas complètement technique parce qu’on parle de ce qu’on lit, on se dit tiens qu'est ce qu'il a fait un tel et l’enfant participe à ce moment là.

E Vous avez commencé à lire des livres à vos enfants à partir de la grande section ?

M Non, non non ! Avant quand ils étaient tout petit ou 1 an quand ils étaient plus petit, deux ans même avant, sans lire vraiment, on parlait ensemble plus qu’on lisait mais avec un support quand même, un livre.

E Vous leur lisiez l’histoire ?

M Oui, mais pas mot à mot.

E Vous la narriez comme dans le livre...

M Oui, tout à fait. Et il y avait quelques temps mort où on lui montrait du doigt certaines choses. Petit à petit comme ça.

E C'étaient des livres que vous aviez achetés personnellement ?

M Oui, personnellement mais j’en ai pas pris à la bibliothèque municipale quand ils étaient tout petits, on a attendu pour ça qu’ils aient 5 ans parce que je n’étais pas assez motivée. On nous en offrait beaucoup étant petit, genre Père Castor et après que ma vision des livres s’est affinée car j’ai fait un stage à la médiathèque et là je me suis dit y’a plein de livres différents, d’approches différentes et c’est là que je suis mise à prendre des livres un peu plus New look, l’école des loisirs etc. et c’était très intéressant.

E Régulièrement vous racontiez des histoires à vos enfants...

M Régulièrement non, sûrement pas tous les soirs. Je ne suis pas du genre mère patiente, besogneuse. Y a des fois, moi j’avais qu’une envie c’était de les coucher... mais quelquefois quand j’étais vraiment motivée, on prenait une histoire. En fait les enfants ont la chance d’avoir un père qui rentre très tard dans un sens, j’étais beaucoup plus disponible pour eux quand ils étaient petits. Leur père rentrait vers 9 heures. Y’avait 2 heures libres où j’étais avec eux.

E Grégoire a beaucoup de livres ?

M Oui, il a tous ceux de ces frères et soeurs...

E Combien grosso modo ?

M Je suis incapable de le dire. En fait, ça a défilé pas mal, entre les bouquins de la bibliothèque, ceux que j’avais quand j’étais petite que j'ai gardés, les documentaires que ces frères et soeurs ont eus, les périodiques...

E Il est abonné ?

M Non, les revues sont horriblement chères et ils sont quatre... on préfère louer, emprunter, y’a pas de stocks. Par contre y’a des stocks de beaux livres, quand ils ont reçu un beau livre , il est en évidence, chacun dans leur chambre, c’est à eux.

E Alors combien ?

M Plus de 100., oui même plus de 100.

E Il s’est intéressé aux livres rapidement ?

M Il a commencé à s’intéresser aux livres rapidement oui, je dirais. Il en avait plein comme les autres sont plus grands que lui. Il a récupéré progressivement tous les livres et ... en ce moment il s’intéresse plus aux BD, c’est peut-être une histoire d’âge, les copains... il lit peut-être moins qu’à une certaine période. Les « J’aime Lire » l’intéresse beaucoup. ce sont des histoires de sorcières qui l'intéressent

E Il lit.

M Ah oui, il lit complètement.

E Ça vous arrive de lui raconter des histoires encore ?

M Oui! de temps en temps, mais rarement. J'ai pas mal donné avec les enfants, y'a un moment où avec les quatre enfants, on sature un peu...

E Grégoire lit des livres tout seul, depuis quand ?

M Tout seul, depuis septembre mais ça dépend ce que vous appelez « livre ». C’est pas un gros livre, des petites histoires... genre « J’aime Lire », il n’en lit pas un entier en un soir, il le lit en plusieurs fois mais il s’y tient. Il continue. Il met une marque.

E Ça lui arrivait d’ouvrir un livre avant même qu’il sache lire ?

M Oui, bien sûr.

E Il était habitué à ce genre de pratique...

M Oui tout à fait.

E Où a-t-il commencé son apprentissage ?

M En classe ou ici. Ca dépend de ce que vous appelez apprentissage, est-ce que vous employez un terme technique ou pas ? Moi je pense que c’est plutôt ici qu'il a eu son apprentissage. En classe ils ont un livre, ils commencent par la méthode globale avec des phrases et après tout ce qu’ils font maintenant ils le savaient déjà. Je ne sais pas si c’est très motivant pour lui. Quelquefois il n’a pas envie de lire dans le livre de classe car c’est toujours répétitif, c’est toujours les mêmes prénoms, et ça l’embête par rapport à ce qu’il a pu lire ici qui était plus complet... les histoires de Sophie et de.... ça l’ennuie un petit peu, parce que c’est rengaine.

E Qu’est-ce que vous pensez de la méthode de lecture ?

M Je ne regarde pas trop le livre en fait (rire). Je sais que ça commence d’une certaine façon, ça se termine de façon plus syllabique etc. mais bon je trouve que c’est pas mal sûrement mais ça devrait faire moins répétitif, que ça fasse moins apprentissage justement. Ça se sent, un enfant sent qu’on veut qu’il fasse quelque chose, inconsciemment, il doit se dire on veut que je fasse ça, on veut que j’arrive

E ....à apprendre à lire

M Voilà, et je pense que c'est peut être gênant. Je ne suis pas assez psychologue pour m'engager dans ce terrain là... Il faut que ce soit plaisir, mais pas rébarbatif, répétitif, que ce soit beaucoup plus disparate, plus gai, plus d’humour, je pense qu’un livre est mieux, c’est Ratus.

E Vous avez connu Ratus...

M Il l’a eu car comme il savait déjà lire, sa maîtresse lui a dit : est-ce que tu veux un autre livre que les autres pour lire en plus. Il a dit oui, et ils sont deux à avoir, où même plus maintenant à avoir Ratus, il aime bien parce que c’est plus drôle. Oui, il aime rire. C'est vrai que les histoires « maman va au marché », ça ne l’intéresse pas trop...

E Il fait son travail le soir... Combien de temps ?

M Oui... dix minutes. Ils ont peu de choses à faire. Une ligne à écrire ou deux, quelques additions à faire, il aime bien donc c’est vite fait, il considère ça comme un jeu... et il lit ou il ne lit pas, je ne le force pas à lire le texte comme je sais qu'il va lire dans son lit après... je devrais peut-être car il va peut-être se dire ce n’est pas la peine de travailler et peut-être qu’en CM1, il ne fera plus rien, je ne sais pas..

E Pour le moment ça ne vous inquiète pas ?

M Non pas du tout. Ils ont tous suivi leur classe un peu comme ça... par contre le problème c’est qu’il s’essouffle quand ils sont en secondaire. J’en ai un qui est en quatrième, il a de bonnes notes en français, mais par contre il ne travaille pas beaucoup, il fait ça par dessus la jambe, peut-être que petit on ne s’est pas assez inquiété. Et l’autre qui est en seconde, on ne sait pas si elle va passer en première parce qu’elle s’essouffle aussi un peu. Alors bon... y’a du pour du contre dans tout ça.

E Vous êtes lectrice ?

M Ça dépend des périodes, quand on a plus de tâches matérielles on sature, on lit trois lignes et puis on s’endort le soir. Mais j’ai lu beaucoup entre 14 et 25 ans. Beaucoup beaucoup.

E Votre mari ?

M Beaucoup moins.

E Quelle a été sa place dans l’apprentissage de lecture de Grégoire ?

M Ça l’intéressait beaucoup, mais il n’a pas participé directement. Il participait quand Grégoire posait quelques questions quand on était dans une voiture, là, ça l’intéressait mais sinon il ne lisait pas d’histoire le soir, c’est par manque de temps, je pense. Sinon il l’aurait fait, mais quand on rentre à 9 heures, on est fatigué... quand on arrive à 40 ans on s’occupe moins de son enfant qu’à 30 ans. Pour lui c’est un peu ça, le quatrième on s’en occupe moins que les premiers. Les autres peuvent lire avec lui.

E Les autres lui racontent des histoires ?

M Oui, Alice hier, lui a proposé parce qu'on était pas là, elle lui a dit " tiens, est ce que tu veux que je vienne dans ta chambre" et comme ils étaient tous les deux, elle lui a raconté une histoire....

E La fratrie joue un rôle..

M Ça fonctionne oui, dans ce sens là, oui, le fait qu’ils soient quatre, ça joue, faut pas voir tout en rose, c’est très rare ce genre de choses.

E Y’a une coopération qui se fait ?

M Coopération, non. Ils sont très individualistes et c’est normal quand même. Chacun vit sa vie, ils ont leurs soucis chacun, Ils s'occupent du petit frère ou de la petite soeur quand ils sont bien lunés. En fait, c'est très épisodique....

E Avez-vous des habitudes d’écriture, utilisez-vous un calendrier, un agenda ?

M Oui, comme tout le monde, j’ai un agenda de poche. A un certain âge, on est obligé de planifier, sinon je ne suis pas quelqu’un d’organisé, je le suis devenue.

E Vous utilisez un pense-bête ?

M Non. Si je dois penser à quelque chose, je l’écris sur le frigo, après un post-it, je ne retrouve pas forcément les choses, j’écris des petits mots partout.

E Liste de course ?

M Pas systématiquement, quand je suis fatiguée.

E Liste de vacances ?

M En dernière minute, sur ma table de nuit, des choses que vraiment il ne faut pas que j’oublie, 2-3 choses c’est tout.

E Classez-vous les photos ?

M Non, j’ai horreur de ça.

E Votre mari est pareil.

M Mon mari, faute de temps, il est pareil. On a horreur de faire les comptes, il faudrait qu’on soit plus organisé, on le devient... mais c’est une obligation plus qu’un plaisir.

E Vos comptes.

M Je regarde sur le Minitel. Je coche mes chèques mais pas tous les jours.

E Utilisation de l’écrit par le Minitel ?

M Oui.

E Recettes de cuisine, vous en écrivez ?

M On écrit, y’en a entre les pages des bouquins de cuisine...

E Des courriers ?

M J’aime beaucoup écrire.

E Sous forme de courrier ?

M Oui, j’écris peu mais quand j’écris c’est une longue lettre. J’aime pas écrire une carte.

E Votre mari ?

M Il n’aime pas trop écrire car il écrit beaucoup à son travail, il est un peu saturé.

E Echange de petits mots avec mari et enfants ?

M Très rare.

E Lectrice de magazines ?

M De moins en moins, car je trouve de plus en plus superficiel. Avant ça m’amusait, maintenant ça ne m’amuse plus beaucoup. On ne lit pas de choses régulières, pas toujours les mêmes magazines. Je n’achète plus certaines choses qui m’énervent mais quand j’achète quelque chose c’est pour me distraire de temps en temps. On ne lit pas le journal tous les jours par manque de temps.

E Et pour Grégoire, vous achetez des magazines ?

M De temps à autre.

E Régulièrement.

M Non, de temps en temps pour lui faire plaisir, c’est pas régulier. On comptait sur les grandes tantes pour les abonner... quand un abonnement compte 600 F.... tout ce qui est Bayard Presse, c’est très bien mais c’est trop cher. J’achète de temps en temps mais pas systématique. Ce serait l’idéal pour eux...

E L’élément financier vous arrête...

M Oui, et je trouve que c’est du luxe... y’a beaucoup de publicités. C’est pas forcément utile à l'épanouissement..

E Grégoire est habitué à aller à des visites, musée ...

M On les emmène quelquefois, mais c’est rare. C’est surtout au cours de voyages itinérants, en France, l’année dernière c’était Turin car j’ai une belle-soeur qui y habite alors on est allé voir l’expo Dali, ils aiment bien. C’est drôle car les petits aiment plus que les grands. Les grands à 14-15 ans ça les embête, ils aimeraient mieux aller voir autre chose, mais celle qui a 10 ans aime beaucoup voir les expositions, plus les expositions que les musées, c’est plus vivant. Grégoire n’a pas eu l’occasion d’aller souvent parce qu’il n’a que 6 ans.

E A quoi joue-t-il ?

M Pas mal de choses. Ils inventent pas mal d’histoires, en fait. Ils aiment jouer aux play-mobil, les légos ne l’intéressent pas du tout. Il a quelques personnages, genre Batman avec qui il peut inventer pas mal de chose... Il aime beaucoup jouer dehors. Ils ont tous fait ça, inventer pas mal d’histoires.

E A des jeux de société ?

M Le problème c’est qu’on a la flemme de jouer avec lui à des jeux de société. Ils en reçoivent quelquefois. Il joue plutôt avec sa soeur qui a 10 ans. Les grands ne jouent pas avec lui parce qu’il est trop petit. Avec Alice quelques fois genre jeux de carte, Monopoly... plus rarement qu’il y a un an. Y’a des périodes. Il joueraient davantage, ça se tasse en ce moment, y'a des périodes.

E Ils le faisaient régulièrement ?

M Oui régulièrement, ensemble.

E Avec vous également ?

M Avec nous beaucoup moins. Mon mari il le fait. Il ne lit pas avec eux mais ils aiment bien faire ça un soir, un samedi soir, il ne faut pas qu'on sorte trop, faut garder des soirées avec les enfants.

E A quoi jouez vous avec eux ?

M Au Monopoly, jeux de cartes.

E Echec ?.

M Non, moi j’y ai joué avec mon fils aîné quand il avait 6-7 ans mais après non, mais mon mari ne sait pas jouer aux échecs. On est un peu négligent dans ce qu’on fait. C’est un peu au coup par coup et il n’y a pas de suivi...

E De temps en temps vous jouez avec eux.

M Oui.

E Il aime regarder la télévision ?

M Oui, beaucoup trop. Mais il ne regarde pas tout le temps. Je suis assez relax avec ça. Y’a certaines heures où ils peuvent et d’autres pas.

E Tous les jours.

M Oui, là je suis sûre qu’ils sont devant. Je ne vais pas leur dire d’arrêter ça. Le mercredi matin un petit peu, le soir non, c’est moins intéressant, il regarde ½ heure.

E Ça ne l’intéresse pas trop...

M Ça l’intéresserait, mais je suis obligée de dire non un moment sinon il passerait sa vie devant.

E Vous régentez la télévision ?

M Je suis obligée, sinon il serait beaucoup trop devant.

E Vous utilisez des cassettes.

M Oui, pas mal. On n'en achète pas beaucoup. On enregistre, on emprunte peu. C’est cher et après ça devient systématique quand on emprunte une fois, après la semaine d’après on emprunte une autre fois, après d’un qu’on sort « maman, tu nous loues une cassette parce que tu sors », je ne veux pas que ça vienne systématique, parce que ça c’est encore la société de consommation et ça m’énerve...

E C’est un principe fort, ça...

M Oui, c’est un principe très fort sans qu’on soit à cheval sur le moindre sou. Je ne veux pas qu’ils deviennent esclaves de cassettes, de consommation, de tout... Je trouve ça très très important. Le problème c’est que leur père est assez accro de la télévision... alors on donne l’exemple en fait. J’aime bien regarder un film mais... faudrait qu’on donne l’exemple.

E Grégoire regarde ½ heure par jour...

M Il l’allumerait systématiquement. Enfin !S'il me demande avant...

E Le matin il la regarde ?

M Pas avant de partir en classe, non.

E C’est un principe ...

M D’ailleurs, ils se lèvent tard, surtout en ce moment, ils se lèvent à la dernière minute, y’a pas de télé, ils prennent leur petit déjeuner et ils partent. Ce n'est pas un principe, s'ils se levaient plus tôt, je ne serais pas contre, y’a des émissions qui sont intéressantes peut-être mais quand on se réveille et regarder la télé d’emblée, c’est un peu triste. Non, Je ne sais pas.

E Avez-vous des règles d’éducation ?

M Dans quels domaines ? Y'a tellement de domaines dans l'éducation, je ne sais pas , moi.

E Celui qui vous vient comme ça...

M Je ne suis pas très exigeante sur l’ordre... Moi-même, je ne suis pas très ordonnée. On donne des coups de collier de temps en temps. Chez les adolescents, on ne peut pas mettre les pieds dans leur chambre pendant 15 jours et après ils donnent un coup de collier, ça va, je donne un grand sac en plastique... Les petits je ne suis pas exigeante. Je fais peut-être un peu trop pour eux, ils seraient capables de ranger un peu plus. C’est le premier domaine qui me vient à l’idée, car une mère de famille, dans une maison, on est confronté à ça, sinon... on mange à heure fixe, ils n’ont pas le droit de sortir de table quand ils sont à table, c’est des règles un peu primordiales. Mon mari est d’accord avec moi, ça l’énerve quand un enfant sort de table à 6 ans pour aller faire autre chose... mais des règles définies...Je ne sais pas.

E Comment vous contrôlez le travail scolaire de Grégoire ?

M Le travail de Grégoire m’intéresse beaucoup moins que celui des grands déjà, donc je ne contrôle pas grand chose. C’est pas que ça ne m’intéresse pas mais comme ça va je ne regarde plus ce qu’il fait. Je dis : « est-ce que tu as bien fait ce qu’il fallait faire ? » On gomme quand il a écrit pas très bien, quelquefois il est un peu négligeant alors il écrit un petit peu dans tous les sens. Je dis « là, tu aurais pu faire mieux ». Il ne rechigne pas, il sait très bien que de toute façon, il voit bien que c’est pas terrible...

E Ça vous arrive de donner du travail supplémentaire ?

M Non jamais. Une chose que je ne supporte pas c’est qu’on donne des lignes à faire à des enfants de 7 ans qui sont en C.P., parce qu’ils n’ont pas écouté par exemple. Des lignes comme « Je ne dois pas... ». C’est peut-être parce que je suis orthophoniste et que je vois l’hécatombe que ça peut donner, un enfant qui est dégoûté de l’école, déjà ses parents lui inculque des choses, la maîtresse est derrière parce qu’il est pas sage, parce que peut-être chez lui ça ne se passe pas bien ... en classe ça rejaillit forcément, et en plus on lui reflanque des lignes après, je trouve ça lamentable. Il faut absolument trouver d’autres moyens parce que ça les suit jusqu’en CM2 et ils finissent par écrire n’importe comment. Il faut trouver d’autres modes de punitions, je suis très virulente mais... à notre époque.

E Grégoire ça lui arrive...

M Une fois parce qu’il n’avait pas écouté, on a pris ça comme ça venait, je n’ai pas dit devant lui... il a fait, mais ceci dit, je ne trouve pas ça normal, que dès le CP ils aient 20 lignes, même 10 lignes, même 3 lignes, c’est pour le principe...

E Vous voulez dire qu’on ne peut pas faire aimer la langue française si cela devient un pensum...

M Non, et c’est ceux qui ont le plus de problèmes qui ont le plus de lignes, c’est ça qui est complètement fou...

E Vous considérez ça comme une violence...

M Oui, je trouve que c’est une violence. Je ne sais pas si c’est le fait de tous les instituteurs... remarquez ce n’est pas facile, je me mets à leur place, en face de 30 gamins déchaînés...

E Ça vous arrive de rencontrer l’institutrice de temps en temps ?

M De temps en temps oui.

E Sur votre demande ?

M Sur ma demande oui.

E Pour faire des mises au point. Vous avez été satisfaite ?

M Non, je ne veux pas répondre à cette question.

E Vous avez pris souvent des rendez-vous avec elle ?

M Une fois, mais Grégoire était malade donc je n’ai pas pu aller la voir... et en fait on s’est parlé 5 minutes après l’école, sans rendez-vous. Quand il n’y a pas de problèmes majeurs, on ne peut pas leur imposer des conciliabules... on sait que les instituteurs ne peuvent pas répondre à la demande de chaque parent, parce qu'ils ont leur propres soucis et on ne va pas imposer, faut prendre du recul...

E Vous aimeriez leur dire quelque chose de plus globale...

M Tous les instituteurs sont différents. Du moment où on sent qu’ils ne recherchent pas le contact avec les parents, je ne sais pas s'il faut les forcer.

E Vous pensiez qu’il ait plus de contacts avec les familles ?

M Il faut une réunion de parents, qui est bien sur le plan technique, et il faudrait peut-être qu’ils s’astreignent à des relations un peu plus chaleureuses avec les parents. Un peu plus... et que ça soit un peu dédramatisant. Qu’on parle moins du problème scolaire que ce que l’enfant peut vivre. Le problème, c’est que la communication est un peu tronquée, quelquefois, les parents ne disent pas forcément ce qu’il se passe chez eux, ou alors ils en donnent une interprétation et l’instituteur ne peut pas savoir exactement comment ça se passe. Tout ce que j’ai dit là c’est très idéalisé, y’a des moments un peu plus durs aussi avec ses enfants et qu’on ne dit pas forcément.

E Je l'entends bien

M J'idéalise peut-être, je ne sais pas.

E maintenant, de toute façon, on idéalise, mais l'intérêt d'un tel entretien, c'est ce qui fait émerger un petit peu un certain nombres de représentations qu'on a. Est ce qu'elles sont réelles, fondées dans la pratiques quotidienne ; peut-être pas toujours, mais qu'importe, l'essentiel, c'est l'idéal souhaité. C'est comme ça qu'on l'envisage et puis, nous sommes humains, chargés de paradoxes et de contradiction.

M Il faut tenir compte de l'histoire des gens.

E Votre année de naissance.

M 1959, mon mari en 1955.

E Votre profession ?

M Orthophoniste.

E Vous avez arrêté volontairement.

M Mon mari a commencé deux ans avant que j’arrête. J’ai travaillé 7 ans et donc comme il commençait une profession libérale et moi aussi il a fallu que je m’arrête, j’ai eu un 3 ème enfant aussi à ce moment. Ça s’imposait, j’avais des horaires pas possible, toute la journée le mercredi non stop et le môme qui avait 5 ans ne le supportait pas bien. J’ai stoppé assez net. J’ai arrêté pendant 10 ans pour m’occuper d’eux et après il y a eu le 4 ème et puis voilà..

E Votre objectif était de vous occupez d’eux.

M Oui.

E Profession du mari ?

M Médecin généraliste, avec des astreintes au point de vue horaire pas facile. Si j’avais continué de travailler cela aurait été très dur pour les enfants, ils ne nous auraient pas vu du tout. Cela aurait quelqu’un d’autres qui s’occupent d’eux et moi je ne voulais pas que quelqu'un d'autres s'en occupe., de leur scolarité, de ce qu’ils pouvaient vivre. Je crois que je ne me serais pas sentie bien.

E Vous aviez envie de participer...

M Oui.

E Revenu mensuel familial ?

M Au-delà de 25.000. Propriétaire de la maison depuis peu.

E Décisions familiales, qui les prend ?

M Les grandes décisions on les prend ensemble, les petites c’est moi, toutes les décisions matérielles c’est moi quand il n’est pas toujours joignable.

E Avez-vous autre chose à dire ? une mise en perspective peut-être par rapport à votre profession ?

M Il faudrait plus de cohésion entre les différentes professions et tenir plus compte de l’intérêt de l’enfant que nos petits intérêts.

E C’est-à-dire ? Tenir compte des intérêts de l’enfant par rapport aux intérêts des adultes ?

M Oui, je pense ! Parce que l’enfant est souvent coincé entre l’instituteur, l’orthophoniste, quand il a des problèmes, le psychologue, le psychiatre, entre les parents qui sont de plus en plus anxieux au fil des années car la conjoncture n’est pas idéale. Y'a le chômage, des tas de trucs. On est tous beaucoup trop spidé. L’enfant s'il échoue, y’a pas de miracles, c’est à cause de ça.

E On ne lui laisse pas assez de temps?...

M Pas assez de temps de vivre, on lui impose trop de choses, l’ordinateur... tout tout. Dès qu’ils ont 6-7 ans il faut qu’ils aient ci et ça, faut qu’ils soient équipés comme tout le monde, tous les engins possibles chez eux. Il manque une certaine poésie, un certain humour. Un ordinateur, c’est important mais bien dosé.

E Vous avez un ordinateur chez vous ?

M Pas encore, ça va venir (rire).

E Sous la pression des grands.

M Sous la pression des grands et mon mari s’informatise au cabinet donc à la maison il faudra aussi mais à mon avis, il va y avoir de belles digressions avec les jeux sur les ordinateurs. J’ai un fils qui a 14 ans et on peut difficilement passer outre, A notre époque, c'est sûr. La fille s’intéresse moins, elle n'est pas attiré par tout ça.

E Ça va vite.

M Ça va très vite mais est-ce qu’on a vraiment le temps d’appréhender tout, je suis sûre que non et surtout... de décrypter sur le plan psychologique, On n'a pas le temps on est bouffé complètement. C’est peut-être parce que nous on a un rythme de vie un peu trépidant...

E Vous voulez dire que l’enfant on lui demanderait de fixer ses apprentissages à un moment donné qui sont bien. balisés... alors que vous, vous avez le sentiment que si on laisse le temps...

M Ça peut être beaucoup plus souple.

E C’est un reproche que vous pourriez faire à l’institution scolaire...

M Oui, quoi ça s’est amélioré maintenant avec les classes moyenne section grande section, CP - CE1, ça s’est assoupli. On a un enfant qu’on a fait sauté, qui a sauté le CP, qui est passé de grande section en CE1, on ne sait pas trop inquiété, on nous a beaucoup poussé à le faire. Pour la troisième, on a dit non, elle était très enfant , elle avait besoin de repères affectifs alors que l’aînée paraissait très sociable, très gai, très communicative... alors on a dit attention, ça risque d’être dangereux... Pour Grégoire, on ne nous l'a pas proposé mais pour nous il n’en était pas question. Il savait lire à la fin de grande section mais il n’était pas mûr sur tous les plans, il était très bébé encore. Ca a suivi son cours. Il se sent bien je pense.

E Vous le situez où Grégoire au niveau scolaire.

M On me dit qu’il ne participe pas beaucoup en classe. Ça ce n’est pas le fait de tous les enfants. Mais l’aînée était très extravertie, ils sont tous différents. Chacun sa personnalité. Grégoire est craintif sur certains points, ceci dit il est équilibré, il dort bien, tout ne va pas forcément bien mais ceci dit je ne suis pas inquiète.

E Vous avez 4 enfants, 15 ans, 14 ans, 10 ans et 6 ans.

E Je vous remercie beaucoup du temps passé ensemble.