Avis de l'enseignante sur l'enfant et la famille. Entretien n° 19 enfant SILLOR Jean-Baptiste

E On passe à Jean-Baptiste

N Je l’ai quitté en plein échec.

E Il redouble son CP.

N Il redouble son CP. Les parents n’ont pas accepté qu’on ait un échec avec cet enfant là, alors que vraiment je peux dire que j’ai donné tout ce que j’ai pu. Le prenant deux fois, en relation individuelle, le prenant deux fois par jour, laissant le groupe pour essayer de sortir quelque chose. Je pense un enfant limité intellectuellement. Je pense. C’est le seul qui m’a semblé vraiment sot, un enfant sot.

E T’étais inquiète pour cet enfant ?

N Oui très très inquiète. Et pas motivé, moi, il ne m’a jamais fait cela, mais manifestant, pas du découragement, mais plutôt un désintérêt total, pour ce qui est de scolaire, envoyant même ma collègue sur les roses, en disant moi je n’ai pas envie et soufflant.

E Ne s’intéressant pas à la cause scolaire.

N Aucun intérêt. Je crois que ce qui sera le plus difficile pour lui, ses limites intellectuelles et son désintérêt.

E Les liens avec la famille ?

N Des parents attendant beaucoup beaucoup trop de nous, beaucoup trop de nous !

E Se désinvestissant un petit peu ?

N Pas du tout, mais n’ayant pas les moyens de réagir.

E Désemparés un petit peu ?

N Complètement désemparés. Dans Jean-Baptiste, j’ai un peu retrouvé le papa. Quand j’ai vu le papa, j’ai un peu senti Jean-Baptiste. Malheureusement je dirais. Le papa qui vit son échec scolaire à travers son fils, son propre échec. Et une maman... je ne voudrais pas être méchante mais...

E Insouciante ?

N Non, pas insouciante du tout. Mais... insipide. N’existant pas.

E N’ayant pas de présence.

N Aucune présence. Et disant à Jean-Baptiste : « mais enfin Jean-Baptiste, faut travailler, tu nous as promis de travailler ». « Oui, oui, je vais travailler ». « Vous voyez il promet de travailler ».

E Un discours d’intentions.

N Plein de bonnes intentions. On a été piégé, on a vraiment été piégé.

E Piégé, ça veut dire quoi ?

N Parce que nous, on n’avait pas le droit à l’échec avec leur fils. Ils nous ont laissé cet enfant dans cette école pour qu’on réussisse. Et du jour au lendemain, de parler de redoublement, le lendemain ils allaient l’inscrire à l’école publique. Et il a voulu faire dire à son gamin que le gosse voulait changer d’école. Et le gamin disait : « non, je ne veux pas changer », le père a dit « mais si, tu as dit que tu voulais changer, que tu en avais marre », « non, je ne veux pas changer ». J’ai compris dans le discours du père que de toute façon, on avait raté, notre contrat était rompu, et on allait voir ailleurs.

E Un échec cuisant au niveau de la relation.

N Ah oui.

E Des parents qui n’ont pas bien compris tous les enjeux qu’il pouvait y avoir...

N Non et qui n’ont pas mis leur gosse en cause.

E Ils ont mis en cause l’institution.

N Oui, tout à fait. Nous, on n’a pas le droit à l’échec alors que je leur ai envoyé un courrier... il ne me l’a pas dit bien sûr. Il a fait envoyer par courrier par l’enfant. Le lendemain matin, le gamin est arrivé à l’école avec un courrier disant qu’il ne reviendrait pas à l’école jeudi et qu’il irait à l’école publique.

E Immédiatement ?

N Ah immédiatement.

E On n’attend même pas la fin de l’année ?

N Absolument pas.

E D’accord, c’est rare quand même.

N Alors je lui ai envoyé un courrier en disant que je pensais qu’on n’avait rien à se reprocher, qu’on avait fait le maximum pour Jean-Baptiste. J’étais très, vraiment très vexée... du jour au lendemain...

E T’envoie la lettre de redoublement et puis...

N Je n’ai même pas envoyé la lettre de redoublement. C’était au mois d’avril avant les vacances de pâques. Je lui disais qu’on pensait à un redoublement pour Jean-Baptiste.

E Et quelques jours après ?

N Le lendemain.