Entretien n° 21 avec Famille SOUASSA

Le 25 février 1998

P Moi, l’apprentissage de la lecture... je sais pas... quand j’étais à l’école, j’ai appris à lire et à écrire et puis je ne me suis pas posé tant de questions.

E Bien sûr.

P Et puis après, c’est le tour des enfants. Il est vrai que les temps changent, il y a des générations et des générations après... maintenant c’est beaucoup plus la lecture... je pense, parce que c’est le seul qui est en enseignement privé, c’est Marouen, les autres ont été tous en enseignement public. Et ce que j’ai remarqué sur l’avant dernier, avant Marrouen, l’apprentissage beaucoup plus visuel que disons apprentissage... C’est-à-dire découper des trucs, des images de publicité. Y’a une fois, ce qui m’a marqué le plus, un sèche-cheveux, on dit en français correct sèche-cheveux, il a dit un séchoir. C’est ce qu’il voit lui. Une boite de conserves, c’est ça... Le reste, c’est après qu’ils comprennent. Mais avec Marouen non. C’est sa première année. Pour moi, je pense ce que j'ai remarqué depuis le départ, que c’est une bonne méthode l’enseignement privé, sans prendre des gants, c’est par rapport à... y’a six ans de différence entre les deux. Et bizarrement, il apprend la même chose que moi y’a 41 ans, et je trouve cela formidable, même pour lui parce que ça lui permet de, à la télé, ou sur les livres, à lire les titres des livres comme je faisais avant aussi, de déchiffrer les lettres, lire parfois faux, si je trouve quelqu’un à côté de moi pour me corriger tant mieux, si je trouve personne, personne me corrige et puis ça reste comme ça jusqu'à ce que on me corrige...

E Vous êtes content de la méthode de lecture qui est utilisée à l’école !

P A l’école Sainte-Marie oui. Je suis content... content ou pas, moi personnellement, je dis ce que je pense.

E Et la méthode de lecture en particulier ?

P La méthode de lecture, à l’école Sainte-Marie, c’est une excellente méthode parce qu’elle rallie deux choses à la fois : y’a la lecture d’un livre et puis y’a la lecture des fiches, des lettres et tout ça, les prononciations et tout ça. Je trouve un plus que mon fils (l'avant dernier enfant) n’avait pas.

E Quand on vous dit « l’apprentissage de la lecture », à quoi cela correspond pour vous ?

M Je vous dis la vérité en face, c’est comme je vous ai répondu par téléphone. C’est mon mari qui comprend le plus. Moi ce qui m’intéresse dans l’école, c’est la réussite et l’éducation, c’est ça. Je trouve que l’éducation mieux que l’école publique. Faut dire la vérité. Parce que j’en ai deux cas, j’ai essayé avec le petit, il est à Sainte-Marie maintenant, je trouve l’éducation très très bien. C’est le plus important pour moi, le reste, c’est mon mari qui comprend pour la lecture, pour le reste, franchement.

E C’est vous monsieur, qui êtes "branché" pour l’apprentissage de la lecture ?

P Branché personnellement non mais ce qu’il m’importe à lui apprendre. Si la maîtresse lui dit à lire... il est tout à fait normal que si il commence à lire le texte, il faut qu’il le connaisse parfaitement. Evidemment. On reste le temps qu’il faut. S’il me le dit correctement une fois, une petite deuxième fois une fois, juste pour me faire plaisir à papa, je passe, si il me lit une bonne fois, ou une deuxième bonne fois et puis c’est tout, j’insiste pas.

E Vous passez combien de temps à peu près par jour ?

P Et bien ça dépend.

M Ça dépend de lui, parfois 5 minutes, même pas.

P Ça dépend des journées, c’est-à-dire s’il a connaissance de son texte, je ne sais pas, parce qu’il y a une méthode à l’école que je n’ai pas demandé à savoir, c’est leur méthode, leur méthode, je ne demande pas...

E Vous faites confiance ?

P Je fais confiance. Une fois, j’ai demandé à la maîtresse et elle m’a dit : « il fait ce qu’on lui demande », donc, il se révèle que la méthode qu'on pratique tous les deux (la maîtresse et le père)...., elle est bonne.

E Est-ce que vous donnez du travail supplémentaire ?

P Non, non. Pas...

E Jamais.

P Non. Peut-être... non. Jamais. C’est exclu ça. Peut-être cette année...

M C’est lui qui a fait tout seul. C’était pendant les vacances, la deuxième semaine, parce que c’est toujours comme ça, la première semaine pas de travail, la deuxième semaine, y’a tout le monde à travailler... enfin, pas une journée entière, il fait ce qu’il veut...

P Pour lui, 5 - 10 mm.

M Pour lui... Les frères et soeurs sont leur bureau ils font leurs devoirs. Une fois il m’a demandé un cahier et tout ça et il voulait écrire. Il m’a demandé des choses j’ai dit « ce que tu veux ». Il a pris son cahier ou bien il prend des livres dans la bibliothèque, il prend des livres et il fait une lecture, mais lecture il sait lire, pas lecture comme ça pour écrire, c’est tout. Pour lire et écrire, copie et savoir lire aussi, il sait lire. Je l’ai laissé tout seul, non non je ne le force pas. En ce moment non. On a essayé avec les autres, ça n’a pas marché, donc pour lui non.

E Laissé...

M Laissé et ça marche très bien. Je vois ça. Je ne vois pas pourquoi...

E Et comment vous le situez dans la classe ?

P D’après les résultats, il est agréable, le travail est fait. Il faut tout d’abord mettre les choses au clair. Parce qu’on ne veut pas un Einstein, non. Et d’ailleurs, c’est le principe, même avec mes autres enfants, on dit, comme on dit maintenant comme on est angoissé pour plus tard, c’est-à-dire que, avec les diplômes

M Qu'est ce qu'on va faire ?

P On va pointer au chômage. Mon principe, c’est celui que j’ai inculqué à mes enfants, il vaut mieux pointer au chômage avec des diplômes que sans rien du tout. Il vaut mieux être instruit tout en pointant au chômage, chômeur, que de pointer illettré. C'est un avantage, et ça a marché. Je le ferai, je l’appliquerai même sur le dernier y'a pas de raison !

E Mais vous ne voulez pas en faire un Einstein.

P Ah non, absolument pas. Pas un Einstein mais pas un illettré non plus.

E Je comprends.

P On est modeste et on restera modeste et puis terminé.

M Si ils veulent aller plus loin, pourquoi pas, on va pas l’arrêter.

P On ne connaît pas, s'il veut aller plus loin, il va aller plus loin. De toute manière, arrivé à un stade ou nous, on sera plus rien dans l’affaire.

M Parce que nous , on en a quatre.

P Le plus important, c’est les premières années de l’école. Ce que je vois, c’est vraiment les plus importantes premières années. Après, soit il se dirige..., tout en restant vigilant, bien sûr, mais en lâchant du lest un petit peu...

E Vous faites confiance.

P "Confiance" entre guillemets.

E C’est-à-dire ?

P Restons vigilant.

E C'est à dire ; On lui donne des principes d’éducation ?

P Oui, et puis il va là-dessus et puis il les suit et puis c’est tout. N’empêche, même j’ai mes filles, j’ai entière confiance en elles, mais n'empêche que nous restons un petit peu vigilant. Moi je peux parler au non de ma femme, parce qu'elle comprend ce que c'est. Non restons vigilant tout en leur donnant la compréhension, la confiance... mais on est obligé, c’est-à-dire, par exemple, si on s’abstient, ça donne rien et si on donne trop trop de confiance, l’enfant même quel qu’il soit, le meilleur éduqué du monde, il a des entraves, c’est instinctif. Il arrive un moment où il fait des entraves, des entraves... à tout. C’est avec l’âge.

E Je comprends ce que vous voulez dire.

P On essaye d’être un petit peu vigilant puisqu’on peut.

E D’après vous, Marouen, il a commencé à apprendre vraiment la lecture, à partir de quel âge ?

P Là. Cette année. la lecture, le plus cette année.

M Le plus cette année.

P C’est-à-dire qu’il arrivait à dire et tout mais il n’arrivait pas à lire les autres années. Moi je veux, qu’à chaque année, quand il sera en CP, on commencera vraiment... On lui laisse le temps de... même, assouvir son enfance, bien remplir son enfance. Ça sert à rien de commencer trop tôt, comme je vous ai dit parce que... ce qui explique que je ne veux pas un Einstein... Je ne veux pas...

E Est-ce que quand il était plus jeune, vous lui lisiez des histoires ?

P De temps en temps.

M Marouen ? Non. Des histoires, lire des livres... c’est tout le temps Marouen.

P Des petits livres, faut dire.

M Des petits livres oui de son âge enfin pas ....

P Des petits livres , on lui lit.

M Il aime bien ça

P On les lit. Les grandes lectures, franchement,

M Non !

P tout dépend de mon humeur et...

E C’est vous, plus particulièrement qui lisez des histoires ?

P Pas toujours, parce qu’il y a ses soeurs aussi qui prennent aussi la relève.

M Des petits livres moi aussi. Avant de dormir, c’est tout le temps qu’il veut ça.

P Le livre 4 - 5 lignes. Maintenant il m’amène des grands livres... déjà que j’ai une bibliothèque, que j’aime bien lire et que je n’arrive pas. J’essaye en marchant tous les deux, tu me lis deux trois pages et je lui lis deux trois pages comme c'est dit et puis c'est tout...

E Ça, vous faites ça comme toujours, ou depuis cette année ?

P C’est-à-dire que faut mettre Marouen dans un contexte de très très... quelqu’un de très,... quelqu'un qui cherche à savoir, qui cherche à connaître, c’est inné. Surtout en ce qui concerne les animaux, la nature, la terre, tout. Il est vraiment, très très curieux, très bricoleur, très curieux pour son âge, et puis, on essaye de répondre à ça au maximum. Qu'est ce que vous voulez, moi je suis en invalidité et ma femme elle travaille, le plus souvent il est avec moi. On essaye de rêver ensemble par exemple aux animaux. Il veut être soit "véritinaire" avant de savoir vétérinaire," véritinaire", j’insiste sur le mot. Ce qui veut dire, il s’occupe beaucoup des animaux et il n’a pas peur des animaux, il adore les animaux, il aime les animaux, c’est pas uniquement le chat, le chien qu’on côtoie tout le temps, les animaux quels qu’ils soient. Dès fois, c’est qui le plus lourd, l’hippopotame ou l’éléphant, qui c’est le plus méchant... on lui met dans sa tête, parce que pour l’instant il ne s’approche pas ni de l’éléphant, ni de l’hippopotame ou de rien, que tous sont gentils, même le loup, y’a pas d’histoire de loup garou... J’ai pas l’intention de lui faire peur... dans le but de le calmer, non il est calme sans lui faire peur.

E Et vous lui lisez des histoires depuis quand ?

M Depuis qu’il est petit.

P Le plus, moi je poserais la question d’une autre manière. Depuis quand il regarde les livres ? Depuis longtemps, depuis l’âge de deux ans, deux ans et demi... deux ans. Il regarde tous les livres... surtout...

M les animaux et tout ça.

E Ça, ça lui plaît.

P Et tant qu’il est branché sur un truc, on l’envoie dessus.

E Et c’est des livres qu’il a personnellement.

P Il a oui, c’est-à-dire que c’était à ses frères et soeurs.

M Le reste c’est ce que l’on achète.

E Il a combien de livres grosso modo ?

M Il en a plein.

P Plein. Tous les jours, il met 5 minutes pour choisir le livre qu’il va lire.

M Le livre ou bien les cassettes pour les dessins animés et tout ça.

E Il aime les dessins animés ?

M Non, sauf si il y a des animaux, dessins animaux, il ne peut pas tenir 10, 15 minutes, un quart d’heure maximum. Tout à l’heure, j’ai mis le dessin animé ici, il l’a laissé, il est sorti faire le jardin.

P Tout ce qui a rapport à la nature.

M Il ne peut pas rester... une demi-heure c’est impossible.

E C’est impossible. Il la regarde tous les jours la télévision ?

M Non.

P Il la regarde dans la mesure où quand il arrive de l’école, on prend un goûter et la regarde dix minutes ¼ d’heure. Et c’est de lui que ça vient que bon il a plus envie.

M Il sait c’est quoi qu’il va regarder.

E Au niveau de ses jeux, à quoi joue-t-il ?

M Des outils.

P Bricolage.

M Des outils, comme Noël, j’ai cherché partout, il voulait des outils vrais.

E Des vrais outils.

M J’ai acheté des outils en plastique, il a pas accepté. J’étais obligée de chercher partout, j’ai trouvé une mallette où il y avait des outils, pour son âge, de 6 à 8 ans, mais vrais, il peut bricoler avec. Il était content comme tout. Ça, ses jouets, c’est les outils, c’est pas quelqu’un qui veut des voitures...

P Il joue avec les voitures.

M Oui, mais pas beaucoup.

E Est-ce qu’il joue avec vous à des jeux de société...

P Non.

E ... des jeux de cartes...

P Si.

M Jeux de cartes oui. Il voulait le Scrabble aussi. (rire)

P Au Scrabble à sa manière, jeux de cartes aussi à sa manière...

M Il faut jouer à sa manière.

P Ou on lui fait semblant que c’est lui qui gagne, et tout... déjà il sait, il dit : « vous faites exprès pour me faire gagner ». C’est lui qui impose ses règles qui lui plaisent et il sait que dans le fond on a fait exprès de le faire gagner.

E Vous jouez souvent avec lui ?

P Jouer avec lui, oui oui.

M Tous les jours. Tout à l'heure, j'ai rentré à midi, j’ai pris ma part pour ¼ d’heure, 20 minutes, on va jouer comme ça. J’ai laissé, j’ai laissé et à la fin j’ai dit je peux pas...

E Et puis y’a des choses à faire dans la maison.

M Oui, c’est fini maintenant, on arrête y’a la télé. Maintenant je ne suis plus un gamin pour faire la sieste. Regarde la télé, non, faire un tour, non enfin je le laisse ce qu’il veut, dans les limites, maintenant il a laissé tout, je voulais faire le jardin, il va faire le jardin, bon, c'est tout... Mais par contre il connaît ses limites aussi. Très très bien...

E C’est-à-dire ?

M C’est-à-dire là, par exemple, je voulais prendre un vélo, non papa ne va pas sortir, je peux pas de laisser sur la route tout seul, qu’est-ce que je vais faire ? J’ai dit : « tu veux faire le jardin », il m’a dit oui, il a pris... il est en train de faire le jardin. Il; est là bas ! voila ! (On voit l'enfant dans le jardin ) Il aime bien

E Je vois.....

P bricoler ses... franchement, c’est pas lui qui apprend, c’est moi qui apprend avec le dernier.

E Est-ce que vous autrement vous avez l’habitude d’écrire ?

P Non, disons les choses clairement... j’ai la flemme d’écrire. Mais, quand j’ai envie d’écrire quelque chose d’important, je m’investis et je l’écris comme je pense, clairement, j’estime que j’ai une écriture très correcte avec des mots adéquats, y’a pas d’autres mots, ce qu’ils veulent dire. Je m’investis... bon si il s’agit de remplir des imprimés, ça c’est pas... Sinon pour écrire, non, je ne suis pas fana d’écriture mais quand j’ai envie d’écrire une lettre soit à une administration, soit à la famille, soit à n’importe... j’aime écrire le plus correctement possible pour que ça accroche.

E Est-ce qu’au niveau de la famille, par exemple au niveau de la comptabilité, vous avez un cahier pour écrire tous vos comptes ?

P Pas moi.

E C’est votre femme qui fait ça.

P Oui.

E Mais y’a quelque chose d’écrit.

P Apparemment, oui, elle fait ses calculs.

E Ça vous arrive de partir en vacances, de faire des photos...

P Ça nous arrive de partir en vacances, de faire des photos, prendre des films au camescope ou autres.

E Vous les classez une fois que vous avez pris vos photos ou vous les classez dans les pochettes par exemple ?

P Non, je les ai mis sur cassettes.

E Vos photos, vous les mettez sur cassettes ?

P Toutes les photos, y’en a environ 2.000, je les ai mises sur cassettes. Ah non pas d’albums... l’avant dernier il m’a fait aimé la photo parce qu’il jouait au foot, et puis je le suivais partout...

E Vous êtes comme moi, vous ne classez pas les photos !

P Non, non. Ça c’est plutôt côté ma femme qui classe.

E Au niveau des courses, c’est votre femme qui fait ses courses, elle fait une liste ?

P Dès fois. La plupart du temps, elle sait ce qu’elle a à acheter.

E Au niveau de votre téléphone, vous avez un répertoire téléphonique ?

P Non, c’est dans la tête. Tous mes numéros sont dans ma tête.

E Est-ce que vous avez un agenda pour noter des choses...

P Non.

E ... ou un calendrier pour noter des choses ?

P Non, personnellement non.

E Votre femme non plus ?

P Non, elle a des mots par ci par là, des rendez-vous avec les médecins et tout mais sinon non.

E Les traces des différences choses qui sont à faire vous les mettez sur le frigo, comme ça ?

M Pas moi. C’est ma femme.

E Vous... ?

P Non c’est dans ma tête. Il m’arrive d’oublier.

E Au niveau de vos papiers administratifs, est-ce que vous les classez ou est-ce que votre femme les classe ?

P C’est ma femme qui a la relève, parce que ça fait un moment que je ne suis pas au point, c’est ma femme qui s’en occupe et là je ne vois rien...

E C’est elle qui s’en occupe.

P Même si elle s’entremêle et tout, c’est elle qui sait...

E Et vos filles, elles participent un petit peu ?

P La grande elle participe.

E Elle participe aussi à aider son frère dans la lecture ?

P Ah oui. Les deux filles. Y’a en une qui est à la fac, une autre en seconde, elles l’aident.

E Elles l’aident énormément.

P Elles l’aident quand il a besoin.

E C’est intéressant d’avoir quelqu’un pour un coup de main.

P Y’a pas que pour la lecture de mon enfant... tout le monde a son rôle à la maison et tout le monde le joue parfaitement. Pour la table, le ménage, la vaisselle...

E Tout le monde a son rôle.

P Tout le monde. On vit correctement entre guillemets son rôle.

E Chacun a sa place...

P Chacun a sa place...

E ... pour que la famille fonctionne bien.

P Normalement, on essaye de faire le mieux possible.

E Est-ce que cela vous arrive d’aller à la bibliothèque avec Marouen ?

P Non.

E Jamais. Est-ce qu’il y en a une à BASSE G. ?

P Y’en a une à BASSE G. mais, non...

E Vous y allez peut-être pour vous ?

P Non, même pas, moi j’achète mes livres.

E Vous achetez vos livres.

P J’essaye. Parce que je suis abonné à France Loisirs. Je ne suis pas un grand lecteur mais je m’intéresse à des livres.

E Vous lisez ?

P De temps en temps. J’aime bien la lecture... mais tout dépend de mon humeur. C’est lié toujours à ma maladie. Lire, je pense, cela veut dire se concentrer, si je n’arrive pas à me concentrer, j’arrive pas à lire et ainsi de suite.

E Oui, parce que vous êtes en invalidité actuellement ?

P Oui.

E Vous aviez une profession avant ?

P Oui.

E Qu’est-ce que vous faisiez comme...

P Oh, un peu de tout. Ma vraie profession c’était serrurier mais... je ne cracherais jamais dans la soupe, là où il y a du travail, je travaillais.

E Vous étiez quelqu’un de manuel, ouvrier spécialisé sans doute ?

P Oui. Je suis ouvrier spécialisé d’origine. Il a fallu un déplacement à Nantes qui a vraiment tout changé... j’ai été obligé d’assurer la manutention... c’est manuel, physique et parfois un peu... faut de la lecture pour lire... comme la manutention, il faut savoir les destinations, faut connaître tout ça...

E Votre femme elle travaille ?

P Elle travaille dans le ménage c’est-à-dire, maintenant elle est agent de propreté.

E Agent de propreté.

P Moi je suis pas d’accord avec ça. Parce que je pense, ça change pas grand chose à la fin du mois... femme de ménage, femme de ménage point. Mais si agent de propreté ça rapporte plus d’argent, je serais bien d’accord mais agent de propreté mais agent de je ne sais pas trop quoi pour faire intello...

E Elle travaille à 100 % ?

P Non elle ne travaille pas à 100 %. Elle travaille des heures partielles.

E Une question, il me faut pour vous deux votre année de naissance ?

P La mienne ?

E Oui.

P Entière, je peux vous la dire. 26 octobre 49.

E 49.

P A Tunis.

E A Tunis. Et votre femme ?

P Le 21 avril 57 à Tunis.

E Au niveau des revenus mensuels de la famille ? Je vous donne des fourchettes pour ne pas entrer dans l’indiscrétion. Entre 5 et 10.000, entre 10 et 15.000 entre 15 et 20.000 ou au-delà ?

P 5 et 10.000.

E Entre 5 et 10.000.

P 10.000 à peine, peut-être pas mais en tout.

E Votre dernier diplôme ? CAP Serrurier ?

P CAP. Oui, enfin une attestation d’aptitude professionnelle.

E Et votre femme ?

P Non, elle n’a rien. Aucun diplôme.

E Elle travaille, c’est déjà important. Est-ce que cela vous arrive de rencontrer l’enseignante ?

P En dehors de l’école, oh non.

E Pour parler de Marouen...

P Non, non. Y’a que dans ma propre famille qu’il y a des enseignants. Y’a des profs, mon frère il est prof de droit à la faculté de Tunis, de droit social, il enseigne à la fac. Mes cousines, y’a des profs d’anglais, y’a des profs de français, y’a des ingénieurs en informatique. On a une petite panoplie de...

E de métiers. Mais vous par exemple...

P Y’a qu’avec mes proches que je parle. C’est les seuls profs, seuls instituteurs avec qui je parle.

E D’accord, votre famille. Est-ce que cela vous arrive de rencontrer la maîtresse de votre enfant... ?

P Avec Marouen, c’est rare. Sauf si il y a quelque chose.

M Moi, je ne la connais pas. De cette année non.

P Moi, je la connais, je l’ai rencontrée une fois, je lui ai parlé mais je ne me souviens pas de son visage ...

M De l’année dernière oui, mais pas de cette année.

E Vous ne l’avez jamais vu.

M La directrice oui, j’étais. Pour payer l’école et tout ça. La dame qui s’occupe dans la cour... je la connais.

P Oui, cela je la connais.

M La maîtresse, jusqu’à présent, j’ai pas eu l’occasion de...

E Mais vous avez peut-être eu l’occasion de la rencontrer, vous Monsieur, pour lui parler du travail de Marouen non ?

P Non. C’est-à-dire tout ce qu’il nous rapporte sur son agenda et ce qu’on lui signe et puis c’est tout et en plus quand on vous dit dans son carnet : « agréable, travail correct et tout ». Je ne vais pas aller chercher midi à quatorze heures...

M Comportement agréable.

P Je ne vais pas aller chercher des petites bêtes pour rien du tout, ça sert à rien. Je ne vais pas critiquer sa méthode, elle se révèle correct.

E On a pratiquement fini, vous parlez bien, c’est agréable, parce que dès fois avec certaines familles c’est plus long, mais est-ce qu’au niveau de l’apprentissage de la lecture, est-ce que vous auriez des choses à dire en plus.

P Moi, franchement non.

E Vous êtes tunisien.

P Oui , on est étrangers, il faut le dire.

E Non, je ne le dirais pas comme ça, de souche étrangère.

P Non, c’est une autre génération ... disons les enfants ils sont nés ici, ça plus tard, comme la loi le stipule, libre à eux de prendre la nationalité qu’ils veulent.

E Et vous, votre scolarité, vous l’avez faites à Tunis ?

P A Tunis, oui.

E Comment cela se passe là-bas au niveau des classes, comme en France ?

P Non, là il faut situer les choses comme elles sont. Quand j’ai commencé, c’était au début de la décolonisation. On était un peu, même beaucoup,............. par la langue française, francophone quoi. Au début de la décolonisation, pour moi, personnellement, pour ma génération, tout se passait bien. C’est qu’après, je ne sais pas. Moi je peux vous dire, c’est comme ici. C’est dès fois, un pas, pour moi toujours, c’est mon point de vue, et je le compare à celui d’ici, c’est un pas en avant, quatre pas en arrière. Un pas en avant, cinq en arrière. C’est les mêmes scénarios qu’ici.

E C’est-à-dire ?

P Dans le sens où dès fois un cycle long, dès fois un cycle moins long, dès fois on va supprimer, SVT, on va appeler les sciences naturelles SVT, c’est le bricolage, c’est le remaniement des mots... En Tunisie, c’est pareil, dans la mesure, j’ai eu à travailler en Français, mon frère non, tout en Arabe, les maths, histoire géo, et tout ça. Moi, j’ai eu tout en Français. Mon autre frère, il a eu un petit mélange. Le dernier il a eu pareil un mélange parfois plus Arabe que Français parfois plus Français qu’Arabe. C’est un cycle perpétuel et ça... y’en a à qui ça plaît et donc à qui ça plaît pas.

E Ça plaît moins. Et vous, vous avez fait votre scolarité à Tunis ?

M J’ai pas fait beaucoup.

E Vous n’avez pas fait beaucoup d’écoles.

M Non, non. Je n’ai pas fait beaucoup donc je n’ai rien à dire.

P Elle a été jusqu’en CM2.

E Avez-vous redoublé des classes autrement ?

P Une fois.

E Classe primaire ?

P Oui, classe primaire.

E Et vous ?

M Primaire aussi.

E Vous êtes bilingue. Vous possédez deux langues...

P La langue Arabe que je lis et j’écris.

E Marouen et vos autres enfants, est-ce qu’ils intéressent ?

P Ils sont trilingues. Anglais - Français - Espagnol et Arabe ils le parlent. Ils le comprennent plus qu’ils le parlent, mais ils le parlent aussi.

E Marouen parle Arabe ?

P Il comprend plus. Mais si il a envie de s’y mettre...

M des mots...

P Quelques mots.

E Vous entretenez...

P Ma femme et moi, on parle le plus souvent l’Arabe.

E C’est ça. Vous entretenez cette langue dans votre la famille ?

P L’Arabe dialectale, on ne parle pas l’Arabe littéraire à la maison. Au fond y’a personne qui parle l’Arabe littéraire, c’est que dans des comédies littéraires ou au théâtre...

E C’est vraiment différent ?

P Ah je veux. C’est totalement différent. Y’a comme en Français, y’a des règles de grammaire à respecter, faut pas mélanger le passé avec le futur...

E Vous écrivez en Arabe également ?

P Tout à fait.

E Est-ce que Marouen c’est amusé à écrire en Arabe ?

P Il veut. Il a envie. Il veut que, quand il va en vacances il veut savoir écrire.

E Il veut savoir écrire Arabe. Pour vous, est-ce que ça pourrait empêcher la bonne écriture du Français ?

P Absolument pas.

E Le Français écrit de gauche à droite.

P Et bien on lui apprend de droite à gauche, c’est dans les habitudes.

E C’est naturel.

P Oui, c’est naturel, pour mes autres copains aussi. Pour mes cousins, mes cousines, on sait... on en fait pas un problème là où y’en a pas. Disons que nous, on a eu cette chance là, si on peut appeler ça « chance ».

E Moi, je dis à mes filles, si il y a une langue à apprendre, apprenez l’Arabe !

P Je vous assure, c’est... une langue comme vous dites, « apprenez l’Arabe », c’est un conseil que j’estime bon. Mais quelqu’un qui connaît la langue française pas parfaitement, y’a personne qui connaît parfaitement quoi que ce soit, et personne ne le prétend de toute façon. La langue Arabe c’est une langue très très riche.

E Quand on sait que les grands philosophes grecs sont venus en France, grâce aux Arabes, ça fait réfléchir.

P C’est ce que j’explique et c’est ce qu’ils découvrent, mes enfants, au fur et à mesure qu’on l’enseigne. En parlant d’histoire, on fait un chapitre plus ou moins explicatif, l’invasion des arabes, les conquérants arabes, les sauvages arabes, les machins arabes, mais quand on veut vraiment parler de l’architecture et de ce qu’ils ont laissé comme traces, y’a qu’a voir, partout où ils sont passés et les injonctions et tous les Français écrivent l’Arabe sans le savoir, les chiffres Arabes c’est...

E Toute notre numérotation est arabe.

P Moi ça m’est arrivé dans un hôpital, y’avait un prof de mathématiques, de lui poser la question qui sont les meilleurs en mathématiques, il m’a dit les Arabes et après c’est les Juifs. Effectivement, les Juifs, moi au premier cycle, avant le brevet, j’ai eu mes profs Juifs, c’était magnifique. On m’a fait rêvé tout en faisant des maths.

E Vous auriez peut-être aimé continuer vos études ?

P Oui, mais c’était à cause d’une adolescence très très très perturbée. Et puis, il y a eu une époque ou on avait plus besoin d’argent, il fallait travailler mais ça, c’est secondaire mais personnellement c’était lié à l’adolescence.

E Peut-être lié à la décolonisation, l’histoire du pays ?

P Ah non, ça c’était après, c’est avant 65, disons qu’on avait 20 ans de dépendance. Il faut dire qu’après la décolonisation, il fut une période très stable , disons fin des années 60, début des années 70 où il y a eu des perturbations comme dans l’enseignement, dans tout, l’économie... mais avant on a connu un cycle tout à fait stable point de vue pédagogique. Pour revenir à la langue Arabe, elle est très très riche. Moi qui touche un peu à l’Anglais, je comprends parce que je n’ai pas côtoyé avec beaucoup d’Anglais, je n’ai pas eu l’occasion de converser... j’ai parlé plus à des touristes français, sinon j’aurais parlé pu parler couramment aussi l’Anglais mais je le comprends.

E Est-ce que cela vous arrive de lire des histoires en Arabe ?

P Tout à fait, j’en ai plein. C’est marrant tout ce que j’ai lu en Arabe qu’en j’étais petit, je l’ai relu en Français en grandissant. Le plus flagrant c’est « crimes et châtiments » de Tolstoïski, je l’ai lu en Arabe et je l’ai lu en Français. Y’en a plein, des romans d’Arsène Lupin, Maurice Leblanc, Agatha Christie, c’était en Arabe et ça m’est arrivé de les relire en Français.

E Qu’est-ce que vous préférez la version Arabe ou la version Française ?

P Disons, ce qui se passe, c’est plus occidental qu’arabe.

E Ça passe mieux en Français.

P On inverse la question, disons en parlant d’un prix Nobel de littéraire qui est .. NARFO dans l’Egyptien, et il a son livre en Français que j’ai... Je préfère la version Arabe.

E A Marouen, est-ce que vous lui lisez des livres en Arabe ?

P Malheureusement, j’ai des livres mais il n’y a pas de photos, d’images. Il n’aime pas ça. Ce qui l’intéresse c’est les images. J’aime pas lui lire. J’ai pas de petites histoires, je ne suis pas à Tunis. C’est ça l’inconvénient. Je vais me mettre à lui lire des ... NARFO, il ne va rien comprendre, je n’insiste pas, je ne veux pas le dégoûter.

E Je vous remercie.

P Des questions qui nous a permis de bavarder un peu...

E C’est intéressant car votre discours est original. Après j’analyse tout ça.

P Ma belle-soeur est prof de théologie en Tunisie. Elle vient de passer une thèse pour sa titularisation. Elle m’a fait lire sa thèse en Arabe. J’ai trouvé cela excellent. Elle a fait comme vous faites, un petit mélange par exemple, un terme qui m’a plu, le mot recyclage pour les enfants mal adaptés et tout en gardant le mot Français. J’ai voulu être sur du mot, elle m’a dit oui, c’est recyclage, elle a eu une excellente note et appréciation.

E C’était sur quoi sa thèse ?

P Le comportement, l’aspect pédagogique d’une façon générale des élèves à qui elle donne des cours.

E Elle a dû entretenir des gens, les écouter ?

P Elle les écoutait. Elle s’est plongé dans des livres, des recueils. Ça m’a fait du bien de le lire et puis c’était ça, pour répondre à ce que vous venez dire.