0. 8. Le corps d’hypothèses

Selon Karl Popper, une théorie scientifique forme un corps d’hypothèses (ou conjecture) dont la validité se mesure à la capacité de résister à des expériences cruciales susceptibles de tester sa validité.

La science progresse grâce à des conjectures et à des réfutations. Le propre de la science réside dans sa capacité à se corriger elle-même et non dans le fait de proposer des vérités définitives.

Pour Lakatos (qui succède à Popper à la tête du département de philosophie de la London School of Economics), chaque science inscrit son activité dans des “ programmes de recherche ”, cadres de pensées qui ordonnent et fixent les orientations de recherche. Un programme de recherche scientifique (PRS) est composé d’un noyau dur (ensemble d’hypothèses formant le cœur de la théorie) et d’hypothèses auxiliaires qui constituent une sorte de “ ceinture protectrice ”. Le PRS fixe une heuristique positive, c’est-à-dire qu’il désigne les orientations de la recherche.

Nous présentons ici nos hypothèses selon trois niveaux de règles de connaissances (Savall – Zardet, 1995) : descriptif, explicatif et prescriptif. Ces trois niveaux sont articulés entre eux dans le travail d’intention scientifique. Lorsqu’un fait ou un phénomène qui apparaît signifiant est détecté et décrit, on cherche ensuite une explication, ce qui conduit à formuler une ou plusieurs hypothèses explicatives puis à les valider, les invalider ou les reformuler. De telles hypothèses s’expriment sous une forme explicative du type “ si…alors ”. Lorsqu’une certaine explication est avancée et validée, on cherche ensuite quelles actions et préconisations peuvent être proposées et quels en sont les effets attendus : cela constitue la formulation d’hypothèses prescriptives, particulièrement utiles dans les disciplines dont la vocation est notamment de créer des outils d’aide à la décision.

L’appellation hypothèse descriptive vient du fait que lorsque nous décrivons une situation, nous procédons par une collecte de faits, d’informations et de signaux, est réalisée grâce à une sélection d’éléments en fonction d’une problématique (et/ou grille de lecture) que le chercheur veut traiter. La pertinence de cette problématique, et de ce fait, celle de la sélection des signaux reste à démontrer, d’où le statut que nous lui attribuons par souci de rigueur, de simple hypothèse descriptive.

Ce sont donc les filtres de tri utilisés lors de la sélection des signaux qui permettent de formuler une hypothèse. Un ensemble d’hypothèses de ce type constitue la formulation de la problématique étudiée (Callon – Latour, 1991).

Les résultats obtenus ou connaissances produites peuvent être classés selon leur nature : on distinguera ainsi des règles méthodologiques et des règles substantielles. Les premières désignent les connaissances acquises dans le domaine des méthodes de recherche tant d’intention scientifique que pédagogique ou professionnelle et les secondes désignent les connaissances relatives aux modèles de gestion liées aux décisions de politique d’entreprise.

Nous proposons ici un corps d’hypothèses qui est l’armature de notre recherche. Il regroupe les propositions que le chercheur tente de démontrer dans la thèse. Le corps d’hypothèses répond à une volonté de rigueur épistémologique, en affichant de manière synthétique et ordonnée, les interrogations du chercheur. Une étape supplémentaire est atteinte dans la rigueur épistémologique, par le choix de trois niveaux d’hypothèses, qui font ressortir une progression dans l’engagement du chercheur (Savall – Zardet, 1995).

Hypothèse centrale :

La dynamisation d’un dispositif de veille stratégique dans les entreprises industrielles est une source de proactivité stratégique grâce aux informations pertinentes qui viennent alimenter les différents niveaux de décisions.

Cette hypothèse centrale a pour nous une vertu stimulante, car elle représente la démonstration idéale que l’on souhaiterait pouvoir construire. Sa formulation est ambitieuse, trop peut-être pour être démontrée dans son ensemble, mais il nous semble cependant opportun de l’exposer telle quelle, afin d’indiquer au lecteur la conviction qui nous a animée tout au long de notre recherche.