1.1.1.2. La veille spécifique sur les concurrents

Pour D. Michel 9 , ‘“ dans la guerre économique, la cible, c’est le concurrent. Observer ses concurrents est un réflexe de bon sens pour un chef d’entreprise. ”’

M. Porter 10 énumère les informations susceptibles d’être collectées pour comprendre le comportement du concurrent et surtout pour anticiper ses actions futures. Celles-ci sont rassemblées en cinq points principaux : les performances actuelles du concurrent, sa stratégie, ses nouveaux objectifs, ses capacités et les hypothèses qui sous-tendent son action et ses décisions.

Les données qualitatives sont aussi importantes que les données quantitatives. Beaucoup estiment que seules les données chiffrées sont nécessaires pour évaluer les objectifs, les stratégies, les hypothèses ou les capacités du concurrent. Or, les informations intangibles (image de marque, force de vente…) sont elles aussi importantes et méritent d’être prise en compte. La facilité d’obtention des informations sur le concurrent varie selon les cas. Mais de façon générale, 90% de l’information dont a besoin une entreprise sur ce qui se passe à l’extérieur, peut s’acquérir à des coûts raisonnables et de manière tout à fait légale. Il suffit souvent d’avoir créé son propre réseau de relations et organisé efficacement le traitement des données. En effet, il n’est pas utile de recourir à l’espionnage industriel pour acquérir des informations de portée stratégique sur les concurrents. Une large proportion des informations recherchées figurent dans des rapports annuels, dans des articles de presse, dans les dialogues avec les distributeurs, dans les remontées d’informations des représentants commerciaux, dans des salons professionnels ou dans des reportages. On peut également obtenir de l’information lors d’entretiens d’embauches d’anciens cadres ou de commerciaux d’entreprises concurrentes. En effet, le recrutement normal de l’entreprise procure des contacts répétés et nombreux avec des candidats possédant parfois des informations utiles. Si de surcroît, le candidat est embauché, il peut devenir une source très riche d’informations sur la vie de son entreprise d’origine.

Les entraves à l’acquisition des informations sur la concurrence résultent souvent d’un manque de volonté et de motivation ou d’une insuffisance de moyens adéquats, voire d’un manque d’organisation et non de la difficulté proprement dite d’accès aux informations.

Les pratiques qui permettent de mieux connaître les concurrents sont parfois discutables. Notre expérience nous a permis d’en approcher quelques-unes. Nous avons par exemple effectué une étude de la concurrence pour un cabinet international de conseil et de formation, où nous avions, comme il est d’usage, le statut de stagiaire.

Les différentes étapes pour conduire l’étude de la concurrence ont été dans notre cas :

  1. Prise en charge de cette étude par un étudiant stagiaire n’apparaissant pas parmi les salariés de l’entreprise ;
  2. Recherche libre des concurrents sans souci de restrictions ;
  3. Sélection d’une dizaine de concurrents stratégiques (potentiellement dangereux ?) ;
  4. Réalisation d’un guide d’entretien permettant d’aborder les différents points sur lesquels l’entreprise souhaite des informations ;
  5. Prise de rendez-vous avec ces entreprises sous couvert d’un quelconque mémoire à réaliser ;
  6. Entretien avec la personne la plus haut placée possible et prise de documentation ;
  7. Rapport de synthèse à l’entreprise.

Pourquoi l’entreprise a-t-elle demandé cette étude ?

Cette entreprise était leader sur son segment de marché en matière de formation et n’avait encore connu aucune difficulté. Depuis peu, ses clients, jusqu’à présent captifs, commençaient à faire jouer la concurrence. Elle avait alors besoin de savoir qui étaient ses concurrents, leur valeur ajoutée et leur stratégie à venir. Dans le même temps, elle souhaitait se lancer dans une activité de conseil et recherchait un positionnement. Grâce à cette étude, elle a pu mieux répondre à ses clients, réagir à une concurrence nouvelle et lancer sa diversification avec des données précises. Une étude de la concurrence ne peut apporter toutes les informations souhaitées par l’entreprise, mais elle lui offre une bonne base de développement possible sur une période donnée. Elle doit cependant être attentive aux risques de désinformation et faire des vérifications.

Nous avons rencontré d’autres techniques telles que la visite d’une usine concurrente, souvent de manière anonyme en accompagnant un fournisseur. Cette pratique étant courante, certaines entreprises ont établi des listes de fournisseurs autorisés ou non à pénétrer dans leurs usines, afin d’éviter des fuites concernant leurs procédés de fabrication les plus stratégiques.

La pression concurrentielle pousse les entreprises à inventer des outils nouveaux générateurs d’avantages compétitifs.

Ainsi, après avoir développé des techniques de marketing qui visent à améliorer la fiabilité du produit et à rendre plus agressifs les services commerciaux, puis à utiliser le levier des techniques de motivation pour agir sur l’enthousiasme du salarié, les entreprises les plus performantes n’hésitent plus à s’attaquer frontalement à leurs concurrents, soit en pratiquant l’étalonnage compétitif, ce que les Anglo-Saxons appellent le benchmarking (que nous développerons au cours du chapitre 2), soit en s’engageant dans une guerre stratégique qui consiste à rendre déjà caduques les perspectives de développement mises au point par la concurrence (Salmon et de Linares, 1997).

La veille concurrentielle permet une sensibilisation à la concurrence indirecte, et ce pour deux raisons majeures :

  1. les frontières entre les différents secteurs d’activité deviennent de plus en plus floues, ce qui génère un nombre croissant d’opportunités aux intersections des différents secteurs ;
  2. les nouvelles technologies de l’information vont déstabiliser certains territoires et métiers traditionnels.

Une surveillance pacifique de la concurrence fait appel à une gestion précise et rigoureuse des signaux émis par les entreprises dans leur environnement.

Certains auteurs distinguent dans la veille l’analyse tangible et l’analyse intangible de l’environnement concurrentiel.

Figure n° 5 : Les informations tangibles et intangibles
Figure n° 5 : Les informations tangibles et intangibles
Notes
9.

MICHEL Dominique, "Comment s'informer sur ses concurrents", L'Entreprise n°72, 1991.

10.

PORTER Michaël E., "Choix stratégiques et concurrence", Economica, Paris, 1986.