Le système américain

Les Etats-Unis disposent pour leur part d’un maillage serré autour de l’existence de nombreuses banques de données et d’un appareil de lobbying efficace. Depuis son élection, le Président Bill Clinton cherche à constituer un pôle fédéral puissant et opérationnel sur les questions économiques : il s’est entouré de trois comités d’égale importance chargés de la Sécurité Nationale, de l’Economie et des Affaires Intérieures. Chacun de ces comités est composé de secrétaires d’Etat, d’une petite équipe de fonctionnaires et est dirigé par un assistant du Président.

La tâche de ces comités est de faire remonter l’information par tous les canaux de l’administration. Jusqu’à présent, seule la Défense bénéficiait de l’accès direct au Président. Autrement dit, la tendance n’est pas au plus d’Etat dans l’économie, mais à une meilleure coordination des canaux existants et à une circulation plus opérationnelle de l’information recueillie par les administrations fédérales vers le pouvoir exécutif.

L’économie américaine dispose d’un véritable arsenal dans le domaine de l’intelligence économique. Mais, contrairement au Japon ou à l’Allemagne, cet arsenal pâtit d’un déficit d’efficacité collective. A partir des années 1950, la pratique de “ l’intelligence concurrentielle ” (competitive intelligence) s’est développée dans les grandes entreprises, mais elle ne fonctionnait que dans le cadre de la concurrence acharnée que se livraient des groupes tels que Ford et General Motors sur leur marché domestique. L’intensification de ces pratiques a entraîné deux conséquences majeures pour l’économie américaine. D’une part, les Etats-Unis possèdent aujourd’hui le premier marché privé de l’information, animé par un objectif de rentabilité immédiate au détriment de toute recherche d’efficacité collective. D’autre part, l’orientation domestique des pratiques d’intelligence économique a faussé la perception des menaces concurrentielles extérieures. Longtemps masquées par l’hégémonie américaine, celles-ci se sont révélées brutalement aux entreprises dans les années 1980.

La menace japonaise a réveillé une nouvelle fois le géant endormi dont le système de veille était jusqu’alors dispensé entre les grandes entreprises, les cabinets de lobbying et les sociétés de renseignement commercial. Désormais l’Amérique tente de fédérer toutes les intelligences privées en interconnectant les mémoires et les réseaux.

L’administration américaine, qu’elle soit fédérale ou locale, met à la disposition des entreprises et de leurs différentes “ veilles ” tout un système de mémoires scientifiques et technologiques (Besson et Possin, 1996). Parmi ces mémoires officielles, nous pouvons citer le National Technical Information Service qui gère des millions de données techniques au profit des administrations, des élus et des entreprises, mais aussi le National Research Service, créé par l’Académie des Sciences et l’Institut de Médecine, qui centralise les travaux de plusieurs milliers d’experts du monde universitaire et industriel. Ce service démultiplie les analyses et les veilles scientifiques dans tous les domaines. La mainmise sur Internet et les projets d’autoroutes de l’information constituent autant de redoutables réseaux qui vont permettre à ce pays de devenir la mémoire quasi exclusive de l’information scientifique et technique.

Dans le cadre des systèmes d’information, les Etats-Unis se lancent dans un vaste programme fédéral : le National Information Infra-Structure. Ce projet vise la création d’un réseau qui connectera l’ensemble des citoyens américains. Pour la Maison Blanche, ce projet d’autoroute électronique ne vise pas seulement à relancer le secteur informatique, mais surtout à améliorer la compétitivité des entreprises. En multipliant les accès, elle multiplie les intelligences entre les entreprises, les universités, les laboratoires, les administrations et le public. Cette capacité ne peut que renforcer l’intelligence économique nationale jusqu’alors dispersée et largement ouverte à la concurrence, par le biais notamment des puissants cabinets de lobbying qui travaillent aussi bien pour les Japonais que pour les Européens.

Nous clôturerons ce paragraphe par le rappel d’un scandale qui dévoilait au grand jour, il n’y a que quelques mois, un réseau d’écoute téléphonique américain qui arrivait à enregistrer toutes les communications téléphoniques du monde et avait réussi grâce à ce procédé de judicieuses affaires commerciales à l’échelle internationale.