1.2.3. Le système allemand

C’est pour lutter contre la suprématie mondiale de l’Angleterre victorienne que l’Allemagne du IIe Reich a choisi une stratégie de conquête commerciale. Cette détermination géostratégique a conduit ces deux pays à bâtir des systèmes d’information adaptés à leurs besoins (Commissariat général du plan, Martre, 1994).

La pratique allemande de l’intelligence économique jouit d’une mémoire historique longue. L’esprit collectif qui l’anime trouve ses origines, à partir du XIIIème siècle, dans l’organisation commerciale de la Ligue hanséatique, véritable réseau d’affaires et de pilotage de l’information économique entre marchands, commis voyageurs et financiers. Au XIXème siècle, le jeune Etat allemand incite banquiers et industriels à coopérer, afin de pallier sa faible crédibilité financière et de contester la suprématie anglaise. Cette volonté fonde aujourd’hui l’organisation des flux d’informations, qui convergent vers le cœur stratégique allemand constitué par les banques, les grands groupes industriels et les compagnies d’assurances (Clerc, 1995).

Les réseaux sont bâtis sur la confiance, la discrétion, l’intérêt commun et le respect de la parole donnée. L’effet de la modernisation voulue et réalisée dès la fin du XIXème siècle par Bismarck a permis de donner à l’Allemagne une vision, une ambition et la volonté de surclasser les britanniques. La modernité du modèle social et le soutien apporté à Hitler en 1933 ont montré les prouesses de l’économie de guerre. Après 1945, cette même volonté a permis une reconstruction et une démocratisation rapides. Aujourd’hui, l’organisation est articulée autour d’un cœur industrie-banque-assurance (clubs de patrons) autour duquel gravitent les administrations, le monde politique, les länder, le tissu économique régional, les syndicats et 6 000 sociétés de commerce, la Bundesbank et le gouvernement fédéral. A cette organisation viennent s’ajouter des qualités humaines telles que le patriotisme économique des représentants diplomatiques, les réseaux relationnels des décideurs, les actions collectives et la discipline.

Le système allemand d’intelligence économique mobilise efficacement cet ensemble élargi d’acteurs. La capacité d’élaboration de véritables stratégies de positionnement sur les marchés mondiaux allie la coopération politique et culturelle, et la coopération économique et technologique. Les fondations proches des partis politiques, comme la fondation Konrad-Adenauer, jouent un rôle essentiel. Implantées à l’étranger, elles contribuent en tant qu’instrument d’influence à diffuser le modèle économique et culturel allemand, tout en alimentant les réseaux d’information.

L’intelligence économique allemande fonctionne comme une véritable mutualité du renseignement. Ce réseau bâti comme internet est l’héritier d’une longue tradition comme le montre B. Henri 31   :

‘Les cartels allemands ont élaboré leurs tactiques de pénétration des marchés extérieurs selon une méthode militaire, en faisant appel à diverses sources d’information : le corps consulaire allemand, les commis voyageurs, les sociétés de commerce, les fichiers thématiques, les comptables et les commerciaux des services de renseignements privés. La planification des objectifs à atteindre, la précision des tâches à effectuer, la rigueur d’exécution des investigations, la centralisation et la mise à jour permanente des fichiers économiques ont permis à l’Allemagne de posséder une avance culturelle indéniable dans l’ingénierie de l’information. Cette culture du renseignement constitue les supports précieux dont dispose l’Allemagne réunifiée pour s’introduire dans les pays de l’Est.’
Notes
31.

HENRI Brigitte, “ Le rôle majeur du renseignement économique et financier ”, Université de Reims-Champagne-Ardenne, 1991.