La question de la citoyenneté irrigue un très grand nombre de travaux. La plupart d’entre eux portent sur la clôture de cette dernière, et sur la définition des individus susceptibles d’être considérés comme citoyens. La transformation des Etats, la naissance de structures supranationales en même temps que l’importance croissante prise par les institutions locales questionnent ainsi, et notamment en France, la dimension nationale de la citoyenneté17. De même, l’accroissement - particulièrement important dans les vingt dernières années - des inégalités socio-économiques conduit-il à interroger les conditions de possibilité d’accès au statut de citoyen18.
D’autres travaux se focalisent, à travers l’attention portée à la dominante civique, sur le questionnement du rôle des citoyens, le rapport qu’ils entretiennent avec leurs pairs, la façon dont ils construisent des relations à l’Etat19. Ce sont ces recherches qui ont retenu notre attention dans la mesure où elles permettent de décrire, à travers différentes définitions de la citoyenneté, les rapports animant les citoyens et le monde politique. Une première définition de la citoyenneté permet ainsi d’indiquer comment celle-ci “s’inscrit dans un processus de communalisation politique qui reconstruit l’individu sur un mode contractuel par lequel “chacun s’unissant à tous n’obéit pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant”. Cette émancipation citoyenne donne tout son sens à l’opposition classique entre l’universel et le particulier qui entre ainsi dans la modernité : la relation citoyenne, parce qu’elle est volontaire, est contractuelle et inclusive, transcendant l’appartenance à un groupe qui, elle, se veut exclusive et restrictive”20. Cette première approche fait figure de parangon : le citoyen est cet individu abstrait de toute définition particulariste, de tout statut imposé, de toute appartenance à une communauté restreinte et qui se définit dès lors comme une personne universelle, égale à toute autre personne, dotée des mêmes droits et des mêmes devoirs. Le rapport au monde politique est dès lors inclusif, et celui à l’Etat est non médié21.
L’approche des tenants de la socio-histoire22, ainsi que les apports de la “sociologie de la domination”23 - dont on peut remarquer combien elle est adossée à la conception classique de la citoyenneté -, permettent cependant de relativiser l’évidence du rapport entre les citoyens et le monde politique de la théorie classique. En mettant l’accent sur les processus différenciés d’accession à - et de construction d’ - une citoyenneté, voire sur les processus d’exclusion de toute citoyenneté, ces contributions montrent la très grande variété de ces rapports et la nécessité d’en rendre compte de manière différenciée. On aurait donc, au terme de ce parcours, une pluralité de définitions de la citoyenneté proposant autant de lectures différentes de la position, de la place et des relations que les citoyens développent face au monde politique.
Si ces différentes conceptions de la citoyenneté permettent de préciser les caractéristiques prêtées aux rapports entre citoyens et monde politique, elles ne semblent, malgré leur diversité, que partiellement répondre à nos attentes. Outre la rareté des enquêtes empiriques, deux travers semblent les animer. D’une part, qu’elles soient fondées sur des approches spéculatives ou historiques, elles accordent un poids relativement faible à l’analyse de la citoyenneté ou des rapports de citoyenneté vue du côté des citoyens, de leurs représentations et de leurs actions. C’est paradoxalement une citoyenneté sans citoyens qui est alors envisagée et ce, notamment, à travers l’attention portée aux processus étatiques d’imposition d’une morale républicaine. D’autre part, chaque rapport que ces approches permettent d’expliciter est tendanciellement monolithique : c’est bien souvent un type unique de relation qui est mobilisé pour rendre compte des relations entre le citoyen et les institutions républicaines. Ces différentes définitions semblent ainsi insuffisantes pour rendre compte de la multiplicité des rapports que recèlent les courriers au maire de Lyon.
La citoyenneté est, en France très largement conçue dans le prolongement de la nationalité, cette dernière faisant office tout à la fois de socle identitaire et de dépassement des enracinements particularistes (ethniques, linguistiques...). Sur la remise en cause contemporaine de ce lien, on peut notamment consulter le numéro consacré par L’année sociologique [vol. 46, 1996, n°1] à “Nation, nationalisme, citoyenneté”, ainsi que Bertrand Badie (dir.), Pascal Perrineau (dir.), Le citoyen. Mélanges offerts à Alain Lancelot, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, 319 p.
Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 1995, 490 p.
On pense notamment ici à des travaux ayant une assez large résonance publique comme ceux de Dominique Schnapper, La communauté des citoyens. Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994, 228 p. ; de Claude Nicolet, L’idée républicaine en France (1789-1924). Essai d’histoire critique, Paris, Gallimard, 1982, “Bibliothèque des histoires” ; id., La République en France. Etat des lieux, Paris, Seuil, 1992, “Libre examen”, 215 p. ; ou encore de Pierre Rosanvallon, Le sacre du citoyen, Histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, 1991, 492 p.
Bertrand Badie, “Introduction”, in Bertrand Badie (dir.), Pascal Perrineau (dir.), Le citoyen, op. cit., p. 21.
Cette approche que l’on peut qualifier de “théorie classique” est proche de ce que Jean Leca entend par “thèse (idéo)logique” : “L’intérêt et la volonté dissociés de toute appartenance sociale (de communauté ou de corporation) sont les seules sources de la légitimité de l’Etat. (...) Constitutif de l’Etat, l’individu citoyen est aussi constitué par lui puisque seule l’égalité devant la loi commune permet de le libérer abstraitement des réseaux de solidarité et de domination “particuliers””. Cf. Jean Leca, “Individualisme et citoyenneté”, in Pierre Birnbaum (dir.) et Jean Leca (dir.), Sur l’individualisme, Paris, Presses de la FNSP, 2ème éd., 1991, “Références”, notamment pp. 185-186.
On trouvera dans Yves Déloye, Sociologie historique du politique, Paris, La Découverte, 1997, “Repères”, 123 p. une bonne introduction aux auteurs s’inscrivant dans ce que l’on peut appeler la socio-histoire, ainsi que les principales thèses que ces derniers soutiennent en ce qui concerne la “citoyenneté et les identités nationales” [Chapitre trois].
On reconnaîtra ici les apports de Pierre Bourdieu, La distinction, op. cit., et “La représentation politique”, op. cit., et de Daniel Gaxie, Le cens caché, op. cit.