Première partie
La question démocratique :
Tensions Entre citoyenneté et participation politique

L’analyse des courriers au maire de Lyon invite à penser les rapports que les individus tissent avec leur interlocuteur et plus largement avec le monde politique. Dans cette perspective, deux approches théoriques peuvent être sollicitées qui donnent chacune un éclairage différent des rapports entre individus et espace politique. La première s’attache, à travers la recension des différentes définitions de la citoyenneté, à explorer la façon dont, jusqu’à aujourd’hui, les rapports entre citoyens et instances politiques ont été pensés. La deuxième, fondée sur l’analyse des pratiques de participation politique, tente d’éclairer les relations construites par les citoyens avec une instance politique particulière : l’institution municipale. Ces deux approches, qui permettent de cerner, dans leur tension, ce que l’on pourrait problématiser sous l’expression de “question démocratique”, offrent deux points de vue radicalement différents sur la pratique épistolaire. Pourtant, au-delà de la tension qui anime ces deux conceptions, une logique commune semble se dessiner. Leur disparité ne peut en effet masquer le fait que chacune d’entre elles conduit à interpréter le rapport entre citoyens et monde politique comme obéissant à une logique monolithique. Ce sont les apports et les limites de telles approches, en regard de la pratique épistolaire, que l’on voudrait considérer ici.

Dans un premier temps, on se propose de considérer la façon dont les différentes définitions de la citoyenneté conçoivent le rapport entre les citoyens et le monde politique. A une analyse classique de la citoyenneté, posant un citoyen détaché de tout statut prescrit et entretenant avec l’Etat un rapport non contradictoire, s’opposent les recherches fondées sur l’étude de la sociogenèse de la citoyenneté et sur l’analyse critique de la participation politique. Ces approches, plus souvent contradictoires que complémentaires, ne sont pas sans limite - certaines les cumulent même -, en regard de l’étude des courriers adressés par les citoyens au maire de Lyon. Elles peuvent d’abord être surplombantes : elles s’intéressent alors avant tout à la définition de la citoyenneté, et ce au détriment de l’analyse de la position des citoyens dans le rapport ainsi dessiné. Ensuite, elles peuvent être monolithiques : elles ne pensent guère ces rapports que le long d’une seule et unique logique. Enfin, certaines n’échappent pas à une démarche purement spéculative, négligeant ainsi les rapports concrets que les individus tissent, en situation, avec les instances politiques (Chapitre 1 - Les écueils d’une approche en terme de citoyenneté).

Face à ces limites, on peut alors se tourner vers la pratique épistolaire pour envisager les rapports que les épistoliers construisent et instaurent avec leur interlocuteur municipal. La faiblesse du nombre de recherches à propos de cette pratique incline, dans un premier temps, à mieux en cerner les principales caractéristiques. On découvre alors qu’un grand nombre de courriers est adressé - de façon régulière au cours du XXème siècle - aux maires de Lyon, qu’ils sont rédigés par des épistoliers dont les caractéristiques sociales sont éclatées et qu’ils abordent des objets particulièrement disparates (chapitre 2 - Le courrier adressé au maire de Lyon).

Cette pratique qui dessine un rapport singulier à l’institution municipale est susceptible d’une double lecture suivant que l’on insiste sur l’initiative qu’elle requiert de la part des citoyens ou sur les contraintes politico-administratives qui l’enserrent. Concevoir cette pratique comme un acte de participation politique permet à certains de mettre en exergue les effets, tant sur le scripteur, sur l’administration municipale, que sur l’espace politique, de ces courriers. En revanche, l’analyse du parcours des courriers et de leur traitement par la municipalité permet à d’autres de montrer combien l’ensemble des mécanismes de retraduction des doléances - monopole de l’expertise technique par la municipalité, reconstruction de collectifs à partir de lettres individuelles dont l’argumentaire est du même coup négligé, etc. - interdit de conférer une dimension politique à de telles missives (chapitre 3 - Un premier cadrage dual mais limité : Le courrier entre participation politique et domination).