Chapitre 1 :
Les écueils d’une approche en termes de citoyenneté

Largement analysée dans les années 60, la définition classique de la citoyenneté ne semble aujourd’hui plus questionnée, relevant dorénavant du musée de la science politique dans lequel le chercheur pourrait contempler la progression de sa discipline. Le mythe d’une démocratie de participation, consacrant des individus libres et égaux, semble en effet avoir été largement battu en brèche. Et pourtant, pour classique, cette définition alimente encore aujourd’hui certains travaux. Rappeler cette conception - le statut de citoyen comme arrachement aux statuts sociaux, l’Etat comme moyen à disposition de la volonté générale etc... - et les relations qu’elle implique entre les citoyens et leurs élus n’est donc pas inutile.

Cette définition classique de la citoyenneté, et la normativité dont elle fait preuve, ont été très largement relativisées. Les critiques qui lui ont été adressées se fondent sur deux logiques distinctes : la première, propre aux tenants d’une genèse de l’Etat-nation, s’applique à montrer les conditions effectives de développement ou d’apparition de la citoyenneté. Elle permet d’interroger un modèle trop monolithique de l’intégration nationale. La seconde insiste sur les conditions contemporaines d’exercice de la citoyenneté en s’attachant à l’analyse des conditions concrètes de participation politique des citoyens. Ce feu croisé permet de mettre en exergue ce qui paraît, dans la thèse classique, relever d’une réaffirmation de l’idéal démocratique plus que de l’analyse sociologique (§1 Thèse et limites de la définition “classique” de la citoyenneté).

Les critiques adressées à la thèse classique constituent des points d’appui qui ne sont pas sans poser de nouveaux problèmes. Si la genèse de l’Etat-nation permet de pointer les processus historiques de construction de la nation et de son corollaire, la citoyenneté, elle accorde en revanche une importance démesurée aux institutions socialisatrices et, par conséquent, à l’idée d’une intériorisation d’une identité nationale. La relation de citoyenneté est alors principalement considérée à travers l’intériorisation des normes républicaines du “bon citoyen” dont les différentes institutions se font les zélateurs. En ce qui concerne les analyses critiques de la participation politique - ou “analyses de la domination” -, leur insistance sur la césure entre professionnels et profanes permet d’indiquer combien les compétences politiques sont inégalement partagées. Mais, là encore, cette insistance conduit à privilégier l’analyse de la relation déséquilibrée et souvent impossible entre citoyens et élus (§2 Critique des approches contemporaines de la nationalité et de la citoyenneté).

Au-delà de ce double mouvement critique, il convient de considérer les points communs animant l’ensemble de ces définitions. Bien que chacune d’entre elles permette de concevoir de façon différente la relation entre les individus, le personnel politique et, plus généralement, le champ politique, toutes, dans leur ambition d’universalité, semblent privilégier un type unique et monolithique de relation. Ces définitions qui jouent les unes contre les autres sont construites selon une architecture similaire n’acceptant qu’un seul type de relation entre les individus et l’espace politique. Or, cette conception partagée de la citoyenneté comme type de relation unidimensionnelle semble écarter, voire interdire, l’exploration et l’explicitation des liens effectivement tissés dans l’interaction entre les individus et le champ politique. Autrement dit, ces définitions semblent privilégier une analyse de la citoyenneté plutôt qu’une analyse des citoyens et des relations différenciées qu’ils construisent avec le champ politique.