Chapitre 2 : Le courrier adressé au maire de Lyon

Les relatives lacunes des définitions proposées par les approches en termes de citoyenneté pour envisager les relations construites par les individus avec l’espace politique, et notamment leur aspect monolithique et spéculatif, inclinent à ouvrir d’autres espaces d’analyse. Les approches de la participation politique engagent un regard radicalement différent sur les rapports que les individus peuvent entretenir avec le monde politique dans leurs pratiques de participation. Ce sont ces approches que l’on souhaite explorer dorénavant en relevant ce qu’elles peuvent nous apprendre des rapports engagés par les épistoliers dans leurs lettres au maire de Lyon.

La pratique de l’écriture à des institutions publiques ou politiques est assez mal connue. Peu d’analyses font état du nombre de courriers que les différentes administrations ou instances politiques ont à traiter. Peu de données comparatives sont disponibles quant à la fréquence de cette pratique dans d’autres pays, dans d’autres villes. Face à cette pénurie relative, le premier impératif consiste en un travail de recension, et notamment en ce qui concerne les courriers adressés à la municipalité lyonnaise : combien de lettres parviennent à la municipalité ? Quels sont les objets saisis par les citoyens dans ces courriers ? Est-il possible de définir les profils des épistoliers ?

Ce travail de recension est ingrat. Les données échappent en effet la plupart du temps à l’investigation : données lacunaires, données tenues pour sensibles par les agents de la municipalité, données diffractées entre l’ensemble des acteurs intervenant peu ou prou sur les courriers, données contradictoires parfois, données souvent impossibles à obtenir, elles rendent le travail de synthèse particulièrement épineux. Ce travail de recension ouvre sur un certain nombre de questions qui ne trouveront de réponse que dans un second temps.

Les enseignements d’une telle recension sont cependant à la hauteur de ces difficultés. Ils permettent d’abord de constater que cette pratique épistolaire, qu’elle soit destinée au chef de l’Etat, aux députés ou encore aux maires de Lyon, est une constante parcourant tout le XXème siècle. D’autre part, cette activité est loin d’être marginale et ce, notamment en regard d’autres activités traditionnellement conçues comme politiques telles que la participation à des manifestations ou à des meetings politiques. Les courriers interpellant le maire, pour leur part, sont relativement nombreux, mobilisent un grand nombre d’agents et sont pris très au sérieux par la municipalité lyonnaise. Tout conduit ainsi à penser que cette activité épistolaire n’est pas mineure (§1 L’importance du mode d’interpellation épistolaire).

Cette recension révèle ensuite les objets qui focalisent l’indignation, les plaintes ou les demandes des citoyens. C’est la diversité des thèmes abordés, qui recouvre - et dépasse parfois - l’ensemble des facettes de l’activité municipale qui est alors marquante. Quant à caractériser la population qui se prête à ce type d’exercice, l’entreprise est particulièrement malaisée : deux groupes peuvent cependant être distingués au sein du public des scripteurs (l’un, représentant les trois quarts des personnes est composé d’individus maîtrisant les codes linguistiques et politico-administratifs quand l’autre en est plus démuni) (§2 Les scripteurs et leurs demandes).

Cette première approche, essentiellement descriptive, permet de situer globalement cette pratique et de pointer un mode d’interpellation singulier qui mérite l’attention du chercheur.