Rares sont les études permettant de mesurer l’importance de cette pratique. Est-elle très répandue ou fait-elle figure d’activité marginale ? Les premiers à apporter des éléments quant à l’importance numérique de ce mode spécifique d’interpellation sont les chercheurs Américains. Sydney Verba et Norman H. Nie indiquent ainsi que 20% de la population américaine aurait “déjà pris contact avec un fonctionnaire de l’administration locale à propos d’une question ou d’un problème” et 18% avec “un fonctionnaire de l’administration fédérale ou nationale”176. Ces données sont confirmées par L.W Milbrath et M.L. Goel qui substituent à la distinction local / national une approche axée sur la discrimination entre des contacts visant un but général et des contacts motivés par un problème singulier. Dans cette perspective, 15 % des citoyens américains auraient “envoyé un message d’encouragement ou de protestation à un leader politique” quand 4% auraient “pris contact avec un membre de l’administration locale, nationale ou fédérale à propos d’un problème personnel”177.
Les comparaisons internationales établies par ces auteurs confirment l’importance de ce mode d’entrée en relation avec les autorités administratives ou politiques. Ainsi, alors même que “les systèmes politiques européens n’encouragent pas le contact direct avec des élus”, 11% des anglais et 11% des allemands de l’Ouest y auraient eu recours178. Quelles que soient les modalités de décompte retenues, le contact avec des autorités politiques, nationales ou locales, portant sur des objets d’ordre général ou individuel, n’est pas une activité mineure.
En France, les études sont rares. Dominique Memmi avance le chiffre de 10 % de la population ayant pris “contact avec des hommes politiques à propos de problèmes collectifs” 179. Une enquête du CERVL portant sur Mérignac, une commune urbaine de 50.000 habitants située dans l’agglomération bordelaise, montre que 17 % de la population a déjà écrit à un député, 45 % à un conseiller municipal et 36 % au maire de leur ville.
“Ces chiffres ‘rendent’ compte d’une intense activité. Mais celle-ci est plutôt intermittente - pour ne pas dire exceptionnelle - car lorsque l’on ne retient que ceux qui ont souvent recours à ce type d’activité, les taux baissent considérablement. (...) Ceux qui ont “souvent” contacté un conseiller municipal ne sont que 14 %, le maire 7 % et, en ce qui concerne un député, 3 %”180.
Le caractère exceptionnel de cette pratique n’obère néanmoins pas son importance, notamment en regard d’autres pratiques de participation. En effet, dans la même commune de Mérignac, en laissant de côté le cas particulier du vote,
“on constate que 77 % des répondants ont signé au moins une fois une pétition, que 58 % ont assisté à une réunion pour protester contre une décision ou soutenir une cause, 41 % ont participé à une manifestation (...).
Seulement 13 % ont “souvent” eu l’occasion de signer une pétition, 14 % ont “souvent” assisté à des réunions, 5 % ont “souvent” participé à des manifestations”181.
La comparaison de ces fréquences dans les pratiques est particulièrement instructive : écrire “souvent” au maire (7%) est ainsi plus courant que le fait de participer “souvent” à des manifestations (5%). C’est ce que confirme le sondage effectué aux Etats-Unis à propos de la guerre du Vietnam : 68 % des personnes interrogées ont parlé de ce problème, 13 % ont essayé de convaincre des proches, 2,5 % ont écrit au gouvernement alors que seulement 1 % ont participé à des manifestations182. Aussi, qu’il s’agisse d’actes occasionnels ou d’actes répétés, le fait de contacter un élu semble une pratique relativement courante183.
Aucune base de donnée ne permet cependant de recenser, de façon exhaustive, cette activité, ni sa permanence. En ce qui concerne la France, les seules sources disponibles sont non seulement dispersées mais souvent inaccessibles184. On ne peut alors que tenter un rapide travail de quantification, en donnant des ordres de grandeur du nombre de courriers reçus pas les différentes instances politiques et en rendant compte des structures de réception mises en place par ces dernières. On s’intéressera dans un premier temps à la présidence de la République ainsi qu’aux courriers reçus par les députés (1) avant de concevoir de façon précise l’état de la question en ce qui concerne la municipalité lyonnaise. L’historique que l’on peut entreprendre concernant le courrier au maire de Lyon indique combien cette pratique est constante (2). Elle semble être aujourd’hui plus importante que jamais (3).
Sidney Verba, Norman H. Nie, Participation in America - Political Democracy and Social Equality, Chicago and London, The University of Chicago Press, 1972, p. 31.
“(...) send support or protest messages to political leaders” [p. 18] ; “(...) contact local, state, and national officials on particularized problems” [p. 19], cf. L.W Milbrath & M.L. Goel, How and Why Do People Get Involved in Politics ?, New York, University Press of America, second edition 1977.
Ces éléments chiffrés sont proposés de façon indicative par Russel J. Dalton, Citizen Politics in Western Europe. Public Opinion and Political Parties in The United States, Great Britain, West Germany and France, Chatham House Publishers, 1988, p. 46-47. On notera qu’aucune donnée n’est disponible en ce qui concerne cette pratique en France.
D. Memmi, “L’engagement politique”, Traité de science politique, sous la dir. de Madeleine Grawitz et Jean Leca, Paris, PUF, 1985, Tome 3, p. 326-327. Les modes de contacts ne sont là encore pas précisés.
Patrick Quantin, ’Une ville en France : qui participe ?’, Les citoyens et la politique locale - Comment participent les Britanniques et les Français, sous la dir. de A. Mabileau et al., Pedone, 1987, p. 75.
Patrick Quantin, ’Une ville en France : qui participe ?’, Les citoyens et la politique locale , op. cit., p. 75.
Sidney Verba et Norman H. Nie, Participation in America, op. cit., p. 283.
Si un certain nombre de distinctions entre les différents courriers peuvent être faites, on se contente dans un premier temps de les considérer de façon générique.
Hormis les études déjà citées, il faut noter que la majeure partie des élus dispose de données statistiques concernant les courriers qu’ils reçoivent. Ces données, que les logiciels informatiques de traitement du courrier ont très largement contribué à produire, sont toutefois peu harmonisées.