a) La présidence de la République

Une rapide esquisse historique permet de montrer que les pétitions ou lettres adressées au président de la République sont, dès le XIXème siècle, non seulement admises mais expressément prévues. En 1892, Le petit secrétaire pratique rappelle que l’article 12 de la loi du 7 brumaire an VII assujettit à des droits de timbre les pétitions et mémoires adressés au gouvernement, aux administrations et à bon nombre d’établissements publics ; en revanche, les “pétitions adressées au Chef de l’Etat, au Sénat et à la Chambre des députés”185 en sont exemptées. Ainsi, l’écriture au président de la République est-elle affranchie de toute taxe d’envoi. La pratique de la pétition adressée directement au Chef de l’Etat n’est alors pas seulement autorisée, elle est facilitée sinon encouragée.

Autorisée, la lettre au président de la République bénéficie également de modèles exposés dans les “secrétaires”. De nombreux conseils et modèles de courriers concernant les pétitions au président de la République sont en effet couchés dans les guides épistolaires.

Les écoliers186 et les différentes personnes intéressées par ces guides pourront adresser leurs recours ou demandes au Chef de l’Etat : “Recours en grâce d’une femme en faveur de son mari ; Recours en grâce d’une mère en faveur de son enfant ; Demande d’une pension au président de la République ; Demande de secours au président de la République ; Demande d’un bureau de tabac au président de la République ; Demande de décoration au président de la République ; Demande de secours à l’épouse du président de la République ; Demande d’audience au président de la République”187.

  • Exemple d’un modèle de lettre au président de la République (1887) :
    Un ancien militaire au Président de la République pour lui demander des secours
    “Monsieur le président
    Un ancien militaire, qui a fidèlement servi son pays et qui compte même plusieurs blessures, ose implorer votre bienveillance. Pauvre et sans ressources, j’ai souffert longtemps sans vous importuner parce que les infortunes que vous secourez sont nombreuses. Mais l’âge et le besoin me forcent de recourir à votre bienveillance pour vous demander quelque secours. Le récit touchant de ceux qui de tous côtés proclament votre sympathie pour ceux qui souffrent, me fait espérer que moi aussi, faible infirme, je trouverai en vous un protecteur et que je pourrai comme beaucoup d’autres, garder le souvenir de vos bienfaits.
    Daignez agréer, Monsieur le Président, l’hommage du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être Votre très obéissant serviteur”188.

Les normes gouvernant l’écriture, édictées par ces guides, indiquent le long travail de formalisation d’une telle pratique : “Pour les lettres officielles, il y a des formules précises, obligées, constantes qu’il faut suivre avec soin ; une lettre officielle ne doit contenir qu’un texte sobrement réglé ; la pétition doit être brève et claire : la concision et la simplicité sont les conditions indispensables dans les pétitions plus que partout ailleurs. Les personnes qui sont dans le cas d’en recevoir, telles que le Chef de l’Etat, les Ministres, les Présidents des Chambres, etc., ne peuvent consacrer qu’un temps relativement court à les examiner. Si donc on est obscur, long et diffus on s’expose à voir sa pétition écartée sans qu’on y ait égard”189. Le caractère officiel de la lettre renvoie en fait principalement au statut du destinataire. Le respect par le locuteur de la hiérarchie et des convenances est alors primordial : “Les convenances sont l’observation des rapports que l’on a avec les personnes à qui l’on s’adresse ; ainsi on n’écrit pas à un supérieur sur le même ton qu’à un égal, à un ami ; on ne tient pas à un bienfaiteur le même langage qu’à un obligé. Le tact, le goût et l’éducation nous guident mieux que toutes les règles pour observer les convenances quand nous écrivons à quelqu’un”190. Ces éléments, à défaut de mesurer l’envergure de cette pratique, témoignent de sa permanence depuis la fin du XIXème siècle.

Notes
185.

Désiré Scribe, Le petit secrétaire pratique. Nouveau guide épistolaire, Paris, Librairie Marpon et Flammarion, 1892, “Bibliothèque pour tous”, p. 42. On trouve également parmi les exemptions : “Les demandes de congés et les secours pour les anciens soldats ou militaires en service ; Les pétitions des déportés ou réfugiés aux colonies ; Les observations des propriétaires relatives au classement parcellaire cadastral, en tant que ces observations sont directement et en temps voulu remises par les maires ; Les réclamations en décharge ou réduction de contributions directes, ayant pour objet une cote inférieure à 30 francs ; Les réclamations sur la confection du rôle des rétributions mensuelles des écoles primaires ; Les réclamations relatives à la liste du jury et des électeurs ; Les mémoires adressés au gouvernement et à l’administration des domaines par la chambre de commerce ; Les réclamations contre les frais de vérification des poids et mesures” [p. 15-16]. Ces dispositions concernant les requêtes adressées au chef de l’Etat, au Parlement, les demandes d’assistance ou de secours, les réclamations au sujet des impôts sont encore rappelées en 1947, cf. E de Breuil, Le nouveau secrétaire - Tout ce qui concerne la correspondance, familiale, mondaine, officielle, commerciale, intime, Paris, Guy Le Prat Ed., 1947, notamment p. 193.

186.

“C’est au moment où s’étiole la production des secrétaires que les manuels scolaires font place à des lettres exemplaires, données comme imitables, et que la forme épistolaire devient commune dans la dictée ou la composition française” prévient Roger Chartier (dir.), La correspondance. Les usages de la lettre au XIXème siècle, Paris, Fayard, 1991, p. 123.

187.

Désiré Scribe, Le petit secrétaire pratique, op. cit., pp. 43 et s. On retrouve des modèles similaires dans les secrétaires ou guides postérieurs. cf. H d’Yrac , Le secrétaire universel (guide pratique de la correspondance) contenant des modèles de lettres sur toutes sortes de sujets, lettres familiales, de félicitations, de condoléances, de remerciement, d’excuses, de reproches, de conseils, de plaintes, de recommandation, de fête de bonne année, de demandes, de réclamations ; billets d’invitation, etc. ; pétitions, demandes d’emploi ; lettres commerciales ; lettres d’affaires ; lettres d’amour ; lettres se référant au mariage ; modèles d’actes sous seing privé ; indications et conseils sur le style épistolaire, etc., Paris, Librairie Garnier Frères, 1922, notamment p. 106 (Pétitions au chef de l’Etat) ; cf. aussi E. de Breuil, Le nouveau secrétaire, op. cit. Sur la permanence des modèles épistolaires cf. Cécile Dauphin, “Les manuels épistolaires au XIXème siècle”, in Roger Chartier (dir.), La correspondance, op. cit., pp. 209-272.

188.

Alexandre Assier, Morceaux choisis - Suivis de notions sur le style épistolaire et de lettres à l’usage des classe élémentaires, Paris, Librairie Guédon, 1887, p. 224.

189.

Désiré Scribe, Le petit secrétaire pratique, op. cit., pp. 5-6.

190.

Ferté (H), L’art d’écrire une lettre - Nouveau manuel épistolaire comprenant 125 sujets pratiques de lettres appropriées aux circonstances ordinaires de la vie, avec des conseils généraux pour chaque genre de lettres et des directions particulières pour chaque sujet, amenant l’élève à trouver elle-même les idées, à les disposer et à les développer, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1894, “Enseignement des jeunes filles”, p. 7.