La pratique de la pétition au président de la République traverse les XIXème et XXème siècles : il en est de même en ce qui concerne les députés. Des modèles de lettres sont également proposés dans les divers guides épistolaires, et la pratique semble si courante que Daladier, alors maire de Marseille, écrit en 1912 à son ami, maire de Lyon et Sénateur, Edouard Herriot : “Excusez-moi de vous ennuyer et de vous transmettre de telles requêtes, tout comme si vous étiez député, et croyez à toute mon affection”202.
Les députés n’échappent donc pas à une très large correspondance. Jacques Bérard, député gaulliste de la circonscription d’Orange a reçu de fin 1962 à fin 1966 environ 1.000 lettres203, soit une moyenne de 250 lettres par an. Pour sa part, un député UNR, notable local d’une circonscription urbaine, a reçu entre le 1er janvier 1959 et le 31 décembre 1961 quelques 2275 lettres204, soit environ 750 lettres par an. Un rapide sondage auprès de quelques députés du Rhône205 en activité nous indique qu’ils reçoivent de 1.000 à 2.000 lettres par an206.
Ces deux séries très lacunaires de données ne peuvent être d’aucun secours pour dégager une quelconque évolution - même si, dans les cas considérés, la tendance serait à l’accroissement des courriers. Elles permettent en revanche de mesurer que ce type d’interpellation des députés n’est pas rare.
Nature et gestion des courriers aux députés207
Les courriers aux députés, qui proviennent très largement de leur circonscription - de 50% à 90% -, sont issus à part égal de groupes - associations ou porte-parole - et de “simples citoyens”. Ces derniers, qui contactent leur député pour des problèmes dont l’aire géographique privilégiée est la circonscription, s’attachent pour, 70% d’entre eux, à l’exposé de demandes d’aides personnelles. Ils réclament alors principalement des appuis en ce qui concerne le logement, l’emploi, le service national et enfin des procédures de naturalisation ou régularisation. Cependant, tous n’écrivent pas en vue d’obtenir le soutien de leur député : certains - entre 5% et 30% selon les députés - expriment des avis ou conseils. Ces avis portent alors sur la politique intérieure et extérieure du gouvernement, sur les mesures économiques - en particulier l’emploi et la fiscalité - et sur des problèmes de société - et notamment les questions de sécurité.
Face à ces nombreux courriers - dont 80% à 95% reçoivent une réponse -, les députés interrogés s’appuient sur leur équipe, le plus souvent composée de deux assistants parlementaires et d’un secrétariat. Une certaine spécialisation semble animer ces équipes, un assistant étant plutôt chargé des questions conçues comme relevant du niveau national alors que l’autre se consacre de préférence aux problèmes locaux de la circonscription. Le classement des courriers - par ordre alphabétique pour le plus simple et par thème pour les plus ambitieux -, ainsi que la pratique de statistiques - même ébauchées - semblent également indiquer l’intérêt apporté à une activité importante des parlementaires.
Les rares données disponibles quant aux courriers adressés au président de la République ainsi qu’aux députés laissent un sentiment d’incomplétude. Elles ont pour seul mérite de confirmer l’existence de cette pratique et de donner une idée de leur fréquence.
Lettre de Daladier à E. Herriot, 22 déc. 1912, AML 985 WP 14, c’est nous qui soulignons.
Ces informations sont tirées de Robert Pini “A travers le courrier d’un parlementaire de la Vème République - Essai d’analyse sur la fonction parlementaire”, p. 64 [publication d’un Mémoire pour le Diplôme d’Etudes Supérieures de Science politique 1967], in Jean-Claude Escarras, Claude Imperiali et Robert Pini, Courrier parlementaire et fonction parlementaire, Paris, PUF, 1971, 139 p. Cet ouvrage comporte également la contribution de Jean-Claude Escarras, “La notion de mandat parlementaire à travers le courrier d’un député”, pp. 9-55 [publication d’un Mémoire pour le Diplôme d’Etudes Supérieures de Science politique 1963]. On pourra également consulter la note de recherche de Marie-Thérèse Lancelot, “Le courrier d’un parlementaire”, Revue française de science politique, n°2, juin 1969, pp. 426-432.
Jean-Claude Escarras, “La notion de mandat parlementaire à travers le courrier d’un député”, pp. 15-16, in Jean-Claude Escarras, Claude Imperiali et Robert Pini, Courrier parlementaire et fonction parlementaire, op. cit.
Ce sondage concerne 5 députés du Rhône ; le questionnaire est consultable en annexes.
Les députés ne comptabilisent ici que les lettres en excluant tous les courriers publicitaires, programmes, tracts, compte-rendu et journaux de leurs partis. D’autre part, ces lettres représentent de 80 à 90% des contacts engagés par les citoyens. Le fax, le téléphone et la messagerie électronique ne comptent ainsi que pour 10 à 20 % des contacts.
Ces données ont été collectées auprès de cinq députés du Rhône en activité. La faiblesse de l’échantillon qui interdit tout tri croisé indique cependant les principales tendances concernant ces courriers.