S’en remettre au maire

Les citoyens qui écrivent au premier magistrat confient leurs missives à une administration en ignorant, pour le plus grand nombre d’entre eux, le devenir réservé à ces dernières. Ils méconnaissent en effet très largement les critères qui conduisent à orienter les courriers sur le cabinet du maire, sur tel adjoint ou encore sur tel service, ceux qui entraîneront l’ouverture d’une enquête, ceux qui présideront à la réponse... Cette ignorance conduit de fait les citoyens à s’en remettre au maire et à son administration. Cette dernière va donc opérer sur les lettres selon les catégories propres à son organisation imposant ainsi une lecture particulière de ces courriers.

Dès l’arrivée du courrier à la mairie de Lyon, un premier tri est effectué dont la logique ne peut qu’échapper aux différents épistoliers360. La cellule courrier qui gère l’arrivée de l’ensemble des plis adressés à l’Hôtel de Ville de Lyon opère une distinction entre les courriers nominatifs - “M. Barre” ou “M. Raymond Barre” - et les courriers simplement adressés à “M. le Maire de Lyon”. Les premiers sont envoyés sur le service courrier du secrétariat général où ils sont dépouillés, enregistrés et la plupart du temps transmis au cabinet du maire pour traitement. En revanche, les seconds sont ouverts à la cellule courrier et orientés soit du côté des services soit, pour les plus “sensibles” du côté du service courrier. Les parcours différenciés des missives suivant qu’elles sont nominatives ou non peut conduire à leur réserver un traitement sensiblement différent : la cellule courrier peut parfois décider d’orienter un courrier non nominatif directement sur le service concerné alors que le même courrier, s’il avait été nominatif, aurait abouti au cabinet du maire.

De même, les courriers mentionnant les titres de ministre, de député, de président du conseil d’administration des Hospices Civils de Lyon ou de président de la Courly sont-ils directement transmis au cabinet du maire sans enregistrement préalable. Parmi ces derniers, les lettres manuscrites ne sont dépouillées que par la secrétaire personnelle du maire. Ces distinctions ne reposant que sur l’apparence extérieure des courriers conduisent à orienter les missives des citoyens sur des services différents susceptibles d’apporter des réponses également différenciées. La logique administrative s’impose donc dès l’arrivée des courriers au sein de la municipalité.

Les lettres adressées par les citoyens au maire de Lyon basculent donc, dès leur arrivée dans un système de gestion que les citoyens dans leur très grande majorité ignorent. Ces réponses, produites suivant une logique administrative, ne donnent satisfaction qu’aux attentes saisies.

Notes
360.

Les citoyens ne sont pas sans savoir que leur courrier peut être traité par d’autres personnes que le maire. Si certains croient, s’étonnent, et remercient le maire d’avoir répondu en personne à leur courrier - “Je vous remercie d’avoir personnellement pris la peine de répondre à ma lettre du 1.2.90” [34] -, d’autres plus nombreux attribuent le traitement à une équipe municipale - “Monsieur le Maire de Lyon, J’accuse réception de votre petite lettre du 17.8.93 et constate que seule votre signature est véridique. De deux choses l’une : ou bien vous ne m’avez pas lu ; ou bien, tout simplement, celle-ci reflète l’opinion de vos secrétaires chargés de dépouiller votre courrier” [114]. La maîtrise de l’échange est ainsi d’autant plus difficile que le destinataire qui va de fait traiter la demande n’est pas nécessairement la personne à qui le citoyen s’adresse.