Chapitre 4 :
Prolégomènes à une analyse du régime de l’interpellation

L’exploration des différents régimes d’action déjà répertoriés semble un détour utile pour penser un régime spécifique d’interpellation et par conséquent une citoyenneté en actes. L’analyse de ces différents travaux s’appuie d’abord sur la description du régime de la justification qui cumule un double avantage. D’une part, il fait partie des régimes d’action parmi les plus travaillés. Premier régime à avoir été construit, il accompagne, en même temps qu’il précise, l’ensemble de la démarche pragmatique entreprise par Luc Boltanski et Laurent Thévenot. Il offre ainsi un ensemble d’appuis méthodologiques permettant de cerner au plus près les prérequis et les attendus de telles analyses. D’autre part, le régime de la justification - qui a pour ambition de rendre compte des grammaires que les locuteurs doivent honorer s’ils désirent que les discours qu’ils tiennent, sous contrainte de publicité, soient considérés comme convaincants - présente un air de famille avec ce que l’on pourrait appeler un “régime d’interpellation”, régime visant, quant à lui, à éclaircir les grammaires dont usent les citoyens dans les courriers qu’ils adressent au premier magistrat.

Pourtant, les courriers adressés au maire de Lyon ne répondent que partiellement à la configuration que le régime de la justification modélise puisque la dimension publique des courriers et donc des discours tenus dans ces écrits n’est en aucun cas une donnée préalable. Les conditions de félicité des discours tenus par les épistoliers risquent ainsi de ne pas être rigoureusement équivalentes à celles animant des discours justificatifs tenus devant un Tiers. Cette particularité des courriers - dont les discours ne sont a priori ni totalement privés ni strictement publics - conduit à concevoir un régime spécifique qui tienne compte de cette incertitude. C’est en s’appuyant sur les réflexions conduites à propos d’autres régimes - notamment ceux de l’opinion et du partage - que l’on peut approcher de plus près les conventions d’expression qui animent ces écrits. On peut alors s’apercevoir que les épistoliers n’échappent pas complètement aux exigences jalonnant les engagements publics. Ces détours permettent alors de penser un régime d’interpellation se déclinant dans un certain nombre de grammaires honorées par les épistoliers quand ils s’adressent au premier magistrat lyonnais (§1 Les grammaires de l’expression publique). Ces différentes grammaires d’interpellation peuvent alors être construites, d’après les écrits des épistoliers, et rendre compte au plus près des rapports que ces derniers tissent avec l’institution mayorale (§2 La construction des modèles d’interpellation du maire).