1 Les grammaires de l’expression publique

L’analyse des grammaires de l’expression publique permet de pointer les compétences dont les citoyens font preuve et les contraintes auxquelles ils doivent faire face dans leurs discours afin de rendre leurs arguments convaincants. S’interroger sur les grammaires de l’expression publique c’est donc interroger les conditions de félicité d’un discours déployé dans l’espace public.

Le caractère public des discours, c’est-à-dire le fait qu’ils se déploient sous les yeux d’un Tiers, est un élément fondamental de la justification puisque dans un tel régime, c’est la présence d’un public qui contraint les locuteurs à user d’arguments partageables et valables en toute généralité. Le cas des courriers au maire de Lyon est spécifique : en évacuant la référence immédiate à un public toujours déjà-là, n’échappent-ils pas aux logiques de la justification ? L’absence de toute publicité faite aux courriers, et partant l’absence de Tiers témoins des écrits, n’est-elle pas rédhibitoire dans l’optique d’une analyse de ces courriers selon des régimes d’expression publique ? Ne faut-il pas au contraire penser ces écrits comme l’exemple type des situations dites dyadiques, c’est-à-dire des situations ou les acteurs se coordonnent sans faire référence à un Tiers ?

Ces questions, plutôt que de recevoir une réponse définitive, conduisent à revenir sur les différentes définitions que l’on peut donner du public. Dans La dénonciation puis dans De la justification, l’insistance est portée sur le Tiers comme entité impartiale et extérieure aux parties en débat. Il permet alors de pointer la dimension logique du Tiers comme instance qui contraint - dans une certaine mesure - les individus à offrir des énoncés partageables (A). Les analyses menées à propos des régimes de l’indignation, et plus encore de l’opinion et du partage permettent pour leur part de traiter de façon légèrement différente la présence de ce Tiers. La pluralité de ses incarnations mais aussi de ses formes (il n’est plus nécessairement extérieur aux individus en scène), son inscription dans des dispositifs (techniques et scéniques) conduisent à ouvrir la définition des situations publiques et à reconnaître dans les courriers adressés au maire des discours obéissant peu ou prou à des grammaires d’interpellation publique. Enfin, l’attention prêtée à la construction du système actanciel par les actants eux-mêmes permet de comprendre les disparités entre les différents courriers, certains locuteurs rehaussant les exigences de publicité alors que d’autres, en revanche, les minimisent (B). L’analyse de ces différents régimes permet ainsi d’introduire à une sociologie pragmatique mais aussi de préciser les contours d’un “régime d’interpellation”.