La présentation du modèle de la dénonciation développé par Luc Boltanski392 est l’occasion de pointer la construction méthodologique permettant d’interroger les contraintes argumentatives pesant sur les discours publics393. Il permet en outre de préciser la nature de ces dernières. Il nous intéresse ainsi à un double titre.
Ce modèle de la dénonciation a fait l’objet d’un développement en deux temps : la première version du texte [Cf. Luc Boltanski, en coll. avec Yann Darré et Marie-Ange Schiltz, ’La dénonciation’, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°51, mars 1984, pp. 3-40], publiée en 1984, est largement inspirée par les problématiques que Boltanski a pu développer à propos des “cadres” sur la construction des catégories, des groupes et des causes collectives [Cf. Luc Boltanski, Les cadres - la construction d’un groupe, Paris, Ed. de Minuit, 1982]. C’est ainsi que “La dénonciation” apparaît en continuité avec “l’analyse de la relation entre la constitution des causes et la formation des groupes : les causes constituées sont toujours associées à des groupes et on peut montrer qu’un grand nombre de groupes se sont cristallisés autour d’une cause” [Luc Boltanski, “La dénonciation”, op. cit., p. 4]. De même, le premier chapitre de L’amour et la justice comme compétences fait-il explicitement référence aux premières recherches conduites par Luc Boltanski : “notre attention a été attirée sur les disputes lors des enquêtes de terrain, menées de 1976 à 1981, qui ont accompagné la recherche que nous avons menée sur la construction de la catégorie des cadres”. [Luc Boltanski, L’amour et la justice comme compétences - Trois essais de sociologie de l’action, Paris, Métailié, 1990, notamment pp. 1-35, 94-95 et 255-356].
Une deuxième version du texte de “La dénonciation” se trouve reprise, complétée, explicitée dans l’ouvrage L’amour et la justice comme compétences. Cet ouvrage est l’occasion de faire le point sur le régime de la justification en reprenant le modèle de la dénonciation au travers du nouveau prisme dessiné dans Les économies de la grandeur en collaboration avec Laurent Thévenot. [Les économies de la grandeur, Paris, 1987, a fait l’objet d’une nouvelle version, disponible sous le titre De la justification - Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, “NRF Essais”, 1991]. Dans cette deuxième version, l’auteur indique qu’il s’agit d’un “travail déjà ancien” [Luc Boltanski, L’amour et la justice comme compétences , op. cit., p. 25] et en propose une lecture renouvelée.
Ce modèle a dores et déjà fait l’objet de nombreuses reprises : on pense ici à l’article de Jean-Yves Trépos, “Contraintes et coûts d’investissements dans les réclamations écrites”, Revue Française de Sociologie, vol. XXXII, 1991, pp. 103-127, article faisant apparaître dans son résumé, les emprunts au modèle boltanskien : “On analyse ici, en partant de la problématique des Economies de la grandeur de L. Boltanski et L. Thévenot, le courrier de réclamations d’une grande société immobilière de l’Est de la France”. On pense également à la contribution de Annie Borzeix, Sophie Fisher, Michel de Fornel et Michèle Lacoste, “Les lettres de réclamation”, in L’administration de l’équipement et ses usagers, sous la dir. de Claude Quin, Paris, La Documentation Française, 1995, “Ministère de l’équipement, du logement, des transports et du tourisme”, pp. 71-106. Dans cette dernière, les auteurs, sans faire explicitement référence à La dénonciation dans leur bibliographie, font appel au modèle de la dénonciation notamment dans le titre p. 90 : “Réclamer et non dénoncer”.