2 - La construction du régime d’interpellation du maire

Outre la nature diverse des situations exposées ainsi que la multiplicité des objets abordés, on ne peut que remarquer la très grande variété des modes d’expression mobilisés par les citoyens dans leurs écrits. L’attitude des citoyens envers le maire, les arguments qu’ils mobilisent ou encore la présentation qu’ils affichent sont en effet autant de preuves des contrastes actualisés dans ces courriers.

Pour comprendre les différentes logiques animant ces courriers, on se propose de prêter attention aux contraintes d’expression auxquelles les citoyens se confrontent dans l’écriture d’un courrier. Pour le dire autrement, malgré la très grande liberté dont les citoyens interpellant le maire semblent bénéficier, liberté confirmée par la très grande variété des missives et les nuances infinies qui semblent toutes les distinguer, les citoyens construisent une interaction maîtrisée leur permettant de s’attribuer et d’attribuer au maire une certaine place, de construire une relation. Dans ces courriers, les citoyens définissent en effet systématiquement un type d’équivalence entre leur personne et le maire. Or, ces équivalences prennent largement appui sur des figures du maire et du citoyen présentes et travaillées dans l’espace public et politique. L’interpellation du maire obéit ainsi peu ou prou à des grammaires qui sont autant de façon d’entrer en contact avec le maire, de créer un lien indispensable à l’expression des demandes ou des plaintes.

On peut ainsi différencier six grammaires principales dont usent les citoyens dans leurs interpellations et qui mettent en jeu des équivalences de différentes natures. Le modèle citoyen est construit sur une équivalence entre des personnes douées de raison. Le modèle aristocratique est fondé sur la commune appartenance du citoyen et du maire à un monde socialement privilégié tandis que le modèle de la sujétion engage un lien qui n’est pas étranger aux rapports entre le roi et ses sujets. Le modèle de l’action collective est fondé sur l’équivalence de taille des actants. Le modèle industriel voit la logique fonctionnelle d’une place attribuée par un système rationnel, définir les droits et devoirs des interlocuteurs. Enfin, le modèle pamphlétaire ouvre une équivalence fondée sur une vision pure de la politique.

Il convient d’abord de présenter l’architecture des relations interpellatives, en indiquant les outils méthodologiques qui sont susceptibles d’en rendre compte (A). Ce n’est qu’alors que l’on pourra aborder la présentation synthétique des différents modèles d’interpellation et, au-delà de leur recevabilité, leurs potentialités critiques (B).