1- Les fautes de grammaire ou la gestion de la bonne distance

L’engagement dans le modèle de la sujétion exige d’abord de renoncer aux ressources que peuvent offrir d’autres modèles.

C’est ce que certaines personnes ont du mal à faire : l’obligation qui est faite au maire de porter attention et secours à ses sujets ne relève que de sa bonne volonté et d’un accord tacite entre lui et ses sujets. Cependant, certains locuteurs, tout en respectant formellement la hiérarchie des positions, introduisent une obligation d’ordre juridique : le recours à la prétérition permet d’opérer ce glissement d’une obligation morale du maire à une obligation garantie par le droit : “Mon courrier n’a pas pour but de vous rappeler vos devoirs quant à la sécurité des personnes dans les lieux publics, mais je souhaite que des mesures efficaces soient prises avant que l’on déplore un accident” [515].

Toute l’architecture du modèle de la sujétion repose sur le maintien d’une distance adéquate entre les sujets et le maire. Les sujets doivent en effet se tenir à distance afin que les positions hiérarchiques respectives des uns et des autres soient confirmées. Ils ne doivent pour autant pas se tenir trop loin du maire sous peine de distendre le lien personnel qui existe entre eux voire de ruiner leur appartenance à une commune humanité. C’est donc à un équilibre subtil entre proximité et éloignement qu’ils doivent s’adonner.

Si les sujets doivent faire preuve d’humilité, ils doivent prendre garde de ne pas trop se rabaisser de façon à ce que le maire soit toujours tenu dans l’obligation de leur porter secours. Comment marquer la limite à ne pas dépasser ? Cette limite est constituée par le statut de victimes qui n’est que très rarement endossé par les locuteurs dans le cours de leur lettre. Les victimes constituent toujours la population butoir du rabaissement, la population qui, tout en étant proche, se situe toujours en dessous des interpellants528. Dans le modèle de la sujétion, les victimes seront particulièrement démunies et caractérisées par leur dépendance et leur faiblesse, qu’il s’agisse d’handicapés “contraints de rouler sur la route avec leurs petites voitures” [150], d’étudiants par définition considérés comme dépendants et préférant “un terrain de sport ou une piscine” [154] ou encore de personne âgées - “un peu d’indulgence pour le 3ème âge SVP” [531].

Notes
528.

On peut également noter que la distance prise avec les victimes, qui permet aux locuteurs de se distinguer des personnes les plus petites, leur permet également de porter une dénonciation sans cumuler les rôles de dénonciateur et de victime, cumul dont on sait combien il est dommageable à une bonne réception des plaintes.