Modèles d’interpellation et objets des plaintes

Notre enquête statistique a porté essentiellement sur deux types de courriers. Les premiers concernaient la construction de la mosquée de Lyon et les seconds des questions touchant à l’écologie urbaine (déneigement, éclairage, parcs...). Or, l’analyse comparée de l’emploi des différents modèles d’interpellation quant à ces deux thèmes montre des différences notables.

Le modèle citoyen est dans les deux cas - et de loin - le plus sollicité. Le modèle de la sujétion occupe le deuxième rang quel que soit l’objet considéré. Cependant, ce modèle de la sujétion partage, dans le cas des lettres concernant l’écologie urbaine, la deuxième place avec le modèle industriel qui, pour sa part, est quasiment absent des courriers portant sur la mosquée. En revanche, le modèle pamphlétaire, absent des courriers divers apparaît en troisième position dans les courriers mosquée. Ces divergences importantes indiquent combien l’usage de chacun des modèles d’interpellation est corrélé aux objets sur lesquels portent les critiques des citoyens.

L’analyse comparée des deux séries de courriers sur lesquelles nous avons travaillé permet non seulement de considérer les registres d’interpellation les plus sollicités dans certaines circonstances mais surtout d’expliquer ces différences de fréquence. Pour la clarté de l’analyse, on peut focaliser notre attention sur les deux registres industriel et pamphlétaires dont la présence ou l’absence, selon la série de courriers considérée, est particulièrement révélatrice de l’influence des objets des plaintes sur les modèles mobilisés par les citoyens. Dans l’affaire de la mosquée de Lyon, très largement politisée et ayant une grande visibilité dans l’espace public, le recours au modèle industriel est très faible alors même que le modèle pamphlétaire est très largement présent. Or, dans cette affaire, rien n’interdisait de saisir le maire à travers ses fonctions de gestionnaire : c’est d’ailleurs sur cette voie qu’Alain Jakubowicz a tenté, pendant un temps, d’orienter le dossier en le réduisant à la signature d’un permis de construire auquel le maire était légalement contraint. Pourtant, le déroulement de l’affaire, la publicité qui lui a été faite, les mobilisations qui ont accompagné son déroulement ne prédisposaient pas les citoyens à envisager le maire sous le simple habit de gestionnaire des affaires lyonnaises⁶²⁴. En revanche, le fait qu’un tel dossier ait été associé à la préservation de l’identité nationale, aux questions touchant à l’immigration et à la place de la religion musulmane en France facilitait grandement le recours au registre pamphlétaire. Inversement, on ne s’étonne pas de la présence de courriers industriels dans les courriers axés sur les problèmes de la neige ou de l’éclairage public. En définitive, la façon dont les différents objets de plaintes sont construits, publiquement ou non, semble largement influer sur le type de registre que les citoyens pourront solliciter pour interpeller le maire.