Le dossier de la mosquée de Lyon semble de prime abord obéir à la loi du genre. A l’instar des dossiers concernant la construction de mosquées, il voit s’affronter trois types d’acteurs : à “l’association islamique locale et ses bailleurs de fonds [qui] forment un premier groupe d’acteurs souvent hétérogènes”, sont associés “les politiciens locaux [et notamment] la majorité municipale, qui peut accorder le permis de construire, exercer son droit de préemption sur le terrain convoité par l’association islamique accorder telle ou telle subvention «socio-culturelle»” et enfin, “l’électorat, au sein duquel s’enflamment les passions contradictoires, éventuellement attisées par les politiciens, mais dont le foyer se trouve d’ordinaire dans le voisinage du futur lieu de culte musulman”630. A Lyon, ces trois types d’acteurs se retrouvent en l’ACLIF, l’Association Culturelle Lyonnaise Islamo-Française, maître d’oeuvre du projet, les riverains protestataires en particulier organisés au sein de l’«Association de protection des habitants du 8ème arrondissement, des quartiers Rockfeller-Montchat et Pinel-Les Essarts», et enfin la municipalité lyonnaise.
Deux périodes peuvent être distinguées dans le projet de construction d’une mosquée à Lyon. Une première tentative avorte ; le projet est relancé en 1989 pour aboutir en 1994: De 1980 à 1983, le projet de mosquée, conduit par des Français musulmans, est porté par un large consensus aussi bien au sein du personnel politique que de l’ensemble des confessions religieuses. Il s’agit d’un projet à dimension locale, soutenu par les leaders politiques locaux, et avant tout destiné aux Français musulmans et notamment à ceux ayant servi sous les drapeaux. Cependant, dès 1983, le choix du lieu de construction - Boulevard Pinel dans le 8ème arrondissement de Lyon - soulève de vives protestations auprès des riverains qui se mobilisent grâce à la création d’associations spécifiques ou à l’activation des Comités d’Intérêts Locaux. Face à cette contestation, la municipalité lyonnaise, tout en essayant de marquer ses distances par rapport au projet et à l’association maître d’oeuvre, soumet à l’ACLIF un autre lieu de construction plus à l’écart des zones d’habitation, rue de Surville dans le 8ème arrondissement. Ce nouveau lieu se voit également opposer une très forte résistance de la part des riverains. En 1987, malgré l’obtention par l’association maître d’oeuvre de l’ensemble des pièces administratives permettant la construction de l’édifice, le projet est mis en veilleuse sous la pression des élus locaux, dans la perspective des futures élections municipales.
Le 19 juin 1989, le projet est relancé grâce aux promesses d’édification de Michel Noir à “l’Heure de vérité” sur Antenne 2. La municipalité assure la défense et endose la responsabilité de la construction à travers une collaboration difficile avec la communauté musulmane lyonnaise et sous la pression de l’opposition conjointe des riverains et de certaines organisation partisanes locales ou nationales. En juin 1992, l’ACLIF décide, sans la bénédiction de la mairie, de poser la première pierre de l’édifice. Les travaux, dont le financement est encore incertain, commencent le 15 juillet de la même année. La mosquée sera en définitive inaugurée en septembre 1994631.
Cf. G. Kepel, Les banlieues de l’islam : naissance d’une religion en France, Paris, Seuil, 1987, “ L’épreuve des faits ”, 423 p, [pp. 294-295].
C’est essentiellement cette deuxième période qui nous intéresse. Cependant, si cette deuxième période est particulièrement importante pour comprendre la configuration du projet et les prises de position des différents acteurs, elle est largement informée par la première. Les différentes associations de riverains qui s’étaient mobilisées dans les années 1980, structurées et attentives à l’évolution du projet, se remobilisent dès l’annonce de sa reprise par la municipalité conduite par M. Noir ; les membres de l’ACLIF promoteurs du projet n’ont pas changé et si les élections municipales ont vu le renouvellement de l’équipe dirigeante à la tête de la mairie, bon nombre de ses membres faisaient déjà partie de l’ancien conseil municipal.