1- Le premier projet

Le projet de construction d’une grande mosquée à Lyon, c’est-à-dire aussi bien une mosquée fédératrice pouvant accueillir un public important - notamment lors des grandes fêtes musulmanes -, qu’une mosquée symbole de la présence définitive de musulmans en France, et pour cela ayant pignon sur rue, remonte aux années 1970.

A partir du milieu des années 1970, un certain nombre de conditions semblent réunies qui permettent de penser la construction d’un tel édifice comme nécessaire, et d’abord par les pratiquants eux-mêmes. En premier lieu figure le frein mis à l’immigration de travail. A partir de 1974, la politique de “fermeture des frontières a modifié radicalement les anticipations des immigrés, contribuant à réduire l’incitation au retour, à prolonger la durée de séjour et à envisager pour beaucoup - probablement pour la majorité d’entre eux - un établissement définitif”632. Le “choix” de cet établissement définitif s’est notamment traduit par la croissance de la procédure des regroupements familiaux : ce qu’il est dorénavant d’usage d’appeler le passage d’une immigration de travail à une immigration de peuplement. C’est cette installation définitive de la population maghrébine en France qui a pu favoriser le développement de la pratique de l’Islam. Le statut transitoire par lequel cette population était définie et par lequel elle définissait elle-même sa présence pouvait expliquer, par extension, le défaut de respect du culte. Il laisse place à un statut définitif conduisant à reconsidérer la pratique de l’islam. Le renouveau de cette pratique apparaît non seulement comme un effet de la sédentarisation mais aussi comme un moyen de sédentarisation633 : c’est par l’islam que la sédentarisation est envisagée. De plus, l’appui de “l’Eglise catholique, du patronnât, des organismes gestionnaires de foyers de travailleurs et de cités HLM mais aussi de l’Etat au début du septennat de M. Giscard d’Estaing, autant d’acteurs qui voient dans l’islam un facteur de «paix sociale», en détournant notamment «les fidèles de la déviance, de la délinquance ou de l’adhésion à des syndicats ou à des partis révolutionnaires»”634 ne peut qu’encourager ce mouvement.

A Lyon, diverses tentatives de doter la communauté musulmane de lieux de cultes se font jour dans la décennie 1970. A la fin des années 1970, l’Association Culturelle Islamique, associée à la Ligue Mondiale Islamique est porteuse d’un projet635. Mais c’est surtout l’Association Foi et Pratique636 qui multiplie les initiatives pour récupérer auprès des municipalités ou de l’Eglise catholique des locaux permettant d’exercer leur culte637. Selon Kamel Kabtane638, c’est suite à une demande adressée par la communauté musulmane de la Duchère (9ème arrondissement) à la mairie de Lyon, en vue de disposer d’une salle de prière que la mairie centrale, déjà sollicitée auparavant, fait un premier pas. Tout en refusant d’octroyer une salle de prière à la communauté, la municipalité lyonnaise se dit prête - notamment sous l’impulsion de M.Chiaverini639 - à promouvoir un centre culturel polyvalent. La municipalité, en proposant d’appuyer un tel centre culturel, propulse à la fois le projet et le groupe qui en sera porteur. La présence de la municipalité est ainsi peu ou prou inscrite au coeur du projet et ceci dès ses débuts.

Notes
632.

G. Tapinos, “Pour une introduction au débat contemporain”, La mosaïque France. Histoire des étrangers et de l’immigration en France, Y. Lequin (dir.), Paris, Larousse, 1988, p. 433.

633.

C’est l’hypothèse que pause Gilles Kepel, Les banlieues de l’islam, op. cit., p. 14.

634.

Gilles Kepel, Les banlieues de l’islam, op. cit., p. 17.

635.

Cette association est présidée par “un ressortissant tunisien occupant un poste de responsabilité dans le principal organisme gestionnaire de foyers de travailleurs immigrés de l’agglomération”. Il a “facilité la création de salles de prière” dans l’agglomération lyonnaise et a permis à l’ACIL d’apparaître “comme l’opérateur islamique local majeur”, notamment aux yeux de la Ligue islamique mondiale. Cette dernière, poursuivant une stratégie d’“ancrage” en France à partir de la ville de Lyon soutien cette association en lui confiant notamment la formation d’imams. Cette collaboration, qui dispose à travers Radio-Trait-d’Union d’un organe de promotion, fonctionnera jusqu’en 1985, date à laquelle des dissensions internes mettront fin à l’activité de l’association. C’est à la fin de l’année 1985 également que “les dirigeants de la mosquée de Paris tiennent à Lyon un gigantesque “rassemblement islamique” qui, en manifestant la force des groupements musulmans liés à l’Algérie dans la vallée du Rhône, sonne le glas des espoirs d’implantation locale de la Ligue”. Cf. G. Kepel, Les banlieues de l’Islam, op. cit., pp. 221-222.

636.

Cf. G. Kepel, Les banlieues de l’Islam, op. cit., chapitre 4.

637.

Ces premières initiatives correspondent à la deuxième phase que repère G. Kepel dans le développement de l’Islam et des lieux de prière en France. “Une deuxième grande phase commence après la flambée des cours du pétrole [...]. L’ouverture d’un bureau de la Ligue islamique mondiale à Paris en 1977, en est la forme la plus perceptible, mais ce n’est pas la seule : des sommes considérables provenant d’«hommes d’affaires musulmans» du Moyen-Orient, vont permettre aux associations islamiques d’acheter des biens immobiliers pour en faire des mosquées et de prendre place dans la cité, d’acquérir une visibilité dans la société française. Mais ce mouvement est contrarié par le développement de représentations hostiles à l’islam en France à la suite de la multiplication des actions terroristes d’origines iraniennes ou libanaises...”. Cf. G. Kepel, Les banlieues de l’islam, op. cit., p. 63.

638.

Les sources concernant cet épisode sont rares et les journaux se contentent généralement de faire partir leur chronologie de la date de création de l’ACLIF en avril 1980. Nous nous appuyons donc surtout sur l’entretien conduit avec Kamel Kabtane, membre fondateur de l’ACLIF et président depuis 1994 de la mosquée de Lyon.

639.

Pied noir d’origine corse, il a grade de préfet et est détaché comme directeur de cabinet auprès de Francisque Collomb alors maire de Lyon. Il semble avoir été particulièrement actif dans le lancement du dossier. Suivant notre hypothèse d’une prégnance des instances étatiques dans la définition de l’islam et de sa place en France, la présence de ce préfet détaché ne peut qu’être relevée.