Une opposition déjà constituée

La déclaration de Michel Noir est suivie de nombreuses réactions parmi les associations de riverains qui s’étaient déjà manifestées auparavant. La cause est même suffisamment grave pour qu’un Comité de coordination673 regroupant l’association de protection des habitants du 8ème ainsi que différents Comités d’Intérêts Locaux674 soit créé dès le 11 juillet 1989. C’est ainsi que, 240 personnes se réunissent, le 28 juin 1989, sous l’égide de l’association de protection des habitants du 8ème ; près de 400 personnes675 se rassemblent à la mairie du 8ème en septembre et qu’une manifestation676 se déroule le 25 septembre entre le lieu projeté de construction et l’Hôtel de Ville de Lyon où se tient la réunion mensuelle du conseil municipal677. Ayant déjà menacé de présenter un candidat pour les élections municipales, les opposants décident de soutenir la candidature de M. Joux, président du comité de coordination des opposants à la mosquée, aux élections cantonales de mars 1992678.

Les riverains en opposition au projet, - qui savent ne pouvoir compter sur des recours juridiques pour contrer ce dernier puisque le dernier permis de construire a été entériné par un jugement du tribunal -, reprennent les arguments qu’ils avaient pu mobiliser dans les années 1980 : “les problèmes de stationnement, de libre circulation, de desserte des hôpitaux, de nuisances phoniques, de chute du patrimoine foncier et immobilier. Problème également de risque de débordement des minorités intégristes...”679.

Les opposants s’adressent principalement à la mairie de Lyon et à son premier magistrat680. Ils prennent immédiatement contact avec la mairie de Lyon681. Ces contacts, qualifiés de négatifs”682 dans un premier temps, laisseront place à une critique sévère dirigée en particulier contre le maire. D’une part, il sera reproché aux élus lyonnais en général, et à Michel Noir en particulier, de ne pas tenir leurs engagements ; ce dernier, en tant qu’ancien conseiller municipal, s’était en effet engagé à ce que le projet se déroule sur le site de la rue de Surville. D’autre part, les opposants prenant le Maire au mot lorsqu’il mentionne vouloir promouvoir la concertation, demandent à ce qu’un référendum local soit engagé.

C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’adoption d’une convention683 liant moralement l’ACLIF et la mairie de Lyon. Les riverains, par leur opposition, ont investie la municipalité d’une mission qui leur semblait relever des seuls pouvoirs publics : s’assurer de, et partant assurer, la bonne marche de l’établissement religieux. A. Jakubowicz résume ainsi le “cahier des charges” que l’ACLIF s’est engagée à respecter :

‘“Pour calmer les craintes et les suspicions, il a été demandé à l’ACLIF de signer une sorte de cahier des charges qui l’engage à l’avenir : pas d’appel extérieur à la prière, pas de manifestation du culte à l’extérieur, pas de commerces à l’intérieur de la mosquée. Cette convention sera prochainement soumise au vote du conseil municipal”684.’

Plus précisément, l’adjoint rappelle en 1991 les principaux engagements qui ont été pris par l’ACLIF :

‘“... L’ACLIF a été désignée comme interlocuteur par le Conseil Municipal.
Différents engagements ont été pris par cette association : ’
  1. justification de la détention du financement avant de commencer les travaux

  2. transparence des fonds pour couper court à toutes rumeurs685”.

Ces engagements, dont la mairie se fait le garant, apparaissent ainsi contradictoires avec la position sans cesse rappelée par la mairie : extériorité au projet et conformité stricte au cadre légal d’intervention686. L’exposé que propose l’adjoint en juin 1992 est en ceci particulièrement éclairant.

Cette “convention” engage ainsi l’ACLIF auprès de la mairie et cette dernière auprès des Lyonnais. Partant, d’une position consistant à ne pas intervenir dans les affaires des musulmans lyonnais - tel était le message de la réunion du conseil municipal de Lyon en juin 1989 -, la mairie débouche sur une position où, de fait, elle est engagée. Engagée non seulement parce qu’elle ne reconnaît que la seule ACLIF comme susceptible de conduire un tel projet sur Lyon mais aussi parce qu’elle se fait le garant des engagements de l’ACLIF vis-à-vis de la population lyonnaise.

Notes
673.

Ce dernier est dirigé par Camille Joux. Ancien syndicaliste militant à la CGT alors qu’il était en poste dans les PTT dans les années 1950 ; il a sa carte au PCF lors de la guerre d’Algérie. Devenu “agent multicarte”, il est âgé de 56 ans en 1989, et assure la présidence de l’Association des parents d’élèves du Conservatoire de Musique de Bron. Il affirme par ailleurs avoir voté pour J.-J. Queyranne (Bron) aux élections municipales de mars 1989. C’est dorénavant et principalement ce comité de coordination, ainsi que l’association de protection des habitants du 8ème qui exprimeront publiquement les griefs des riverains auprès de la mairie de Lyon. Le comité de coordination, hybride et peu formalisé, ne supplantera en effet jamais l’association de protection des habitants du 8ème dans l’expression des revendications des personnes opposées à la mosquée. Ainsi, c’est Mme Girod qui assurera la présence sur le long terme auprès de la mairie - Mme Girod fera partie des personnes systématiquement convoqués par l’adjoint en charge du dossier dès qu’il s’agira de mettre en place des dispositifs particuliers concernant la mosquée - ; De plus elle garde toute liberté de parole auprès de la presse en tant que présidente de l’association.

674.

A notre connaissance, trois CIL sont intervenus : Le Comité d’intérêt local Mermoz Laënnec Transvaal ; En fait seul son président, M. Renevier a pris partie, à titre personnel, contre le projet, le conseil d’administration du CIL estimant que le terrain ne relevant pas de sa “juridiction” il n’y avait pas lieu d’intervenir. Le Comité d’intérêt local de Montchat et le Comité d’intérêt local de Lyon Montplaisir ; Ce dernier, a été créé selon son président M. de Torcy, en 1985 sous l’égide de M. Battailly lui-même. L’optique de M. Battailly alors maire du 8ème étant de faire pendant à l’association de protection des habitants du 8ème.

675.

On peut lire dans Le Monde, à ce propos, que “bien qu’ils clament haut et fort leur “apolitisme”, les opposants à la construction de la mosquée de Lyon ont pu constater, mardi 5 septembre qu’ils sont largement épaulés par des partisans du Front National”, 7 septembre 1989. C’est d’ailleurs suite à ces remarques que les réunions suivantes ne s’adresseront plus qu’aux adhérents, Raymonde Girod rappelant que “si notre association a tenu si longtemps, c’est parce que nous avons adopté une attitude modérée”. Cf. Lyon-Figaro, 21 septembre 1989.

676.

Cette manifestation réunissant quelques 130 véhicules et près de 300 personnes, se conclura par la réception de ses organisateurs auprès de l’adjoint affecté au dossier.

677.

Le parcours suivi par cette manifestation et sa forme sont assez atypiques. La manifestation est prévue en voiture, “pour éviter les incidents qui pourraient intervenir dans un défilé à pied” soutient Mme Girod dans Lyon-Figaro du 21 septembre 1989. Ensuite, cette manifestation qui doit se mettre en branle sur le lieu projeté de la construction Bd Pinel enfile l’Avenue Rockefeller, passe place Gabriel Péri, place Bellecour - un dépôt de gerbe au pied de la statue du Veilleur de Pierre sera en définitive interdit par la Préfecture - puis par la rue de Brest pour remonter jusqu’à la place des Terreaux et l’Hôtel de Ville de Lyon.

678.

Cette logique est cependant à double tranchant. En effet, en se présentant devant les électeurs - il recueillera 4% des voix - et en développant un argumentaire axé uniquement autour de la construction de la mosquée, M. Joux s’est exposé de la sorte à un certain discrédit. Le passage d’une logique de mobilisation du quartier sur le problème de la mosquée à sa traduction politique n’a en effet pas profité au mouvement.

679.

Le Progrès, 29 juin 1989.

680.

La municipalité est la première visée par l’opposition, ce qui n’est pas sans rapport avec le type de légitimité sur lequel Michel Noir a fondé sa campagne électorale. Proximité, démocratie, citoyenneté, tolérance, consultation sont autant de termes qui ont caractérisé la campagne du nouveau maire et partant la façon dont les Lyonnais ont été amenés à le percevoir.

681.

Une première rencontre associant Mme Girod, présidente de l’association de protection des habitants du 8ème, et M. Joux, que la presse présente comme le secrétaire général de cette même association - la Préfecture du Rhône n’a cependant enregistré aucun changement de personnel au sein de cette association -, aura en fait lieu dès le 30 juin 1989 avec M. Jakubowicz. La mairie du 8ème arrondissement ne sera à partir de ce moment plus pertinente dans la conduite des négociations.

682.

par Mme Girod, cf. Le Progrès, 12 juillet 1989.

683.

Michel Noir en faisait déjà mention dans Le Monde du 26 septembre 1989 : “Nous allons mettre en place un dispositif qui, tout en respectant l’indépendance des musulmans lyonnais, offrira un système de garanties. Nous n’avons aucun pouvoir de nous ingérer dans le fonctionnement de la future mosquée, mais par exemple, le maire n’admettra pas d’appel à la prière du haut du minaret. Il veillera à ce que, dans les statuts, des prises de pouvoir abusives ne soient possibles”.

684.

Compte rendu de la Commission extra-municipale du respect des droits, Réunion du mardi 14 novembre 1989, Tome 1.

685.

Compte rendu de la Commission extra-municipale du respect des droits, Réunion du mardi 9 juillet 1991, Tome 1.

686.

Gérard Collomb, chef de file du groupe socialiste, viendra d’ailleurs soutenir l’association en juin 1992 en dénonçant les conditions particulières qui ont été posées à l’ACLIF en regard d’autres dossiers d’urbanisme.

687.

Compte rendu de la Commission extra-municipale du respect des droits, Réunion du mardi 9 juin 1992, Tome 1.