UNE SEQUENCE CLAIREMENT DELIMITEE

Le choix des limites chronologiques s’est imposé par la seule réalité des faits. Le moment de la Libération, s’il obéit à une chronologie qui s’étend d’octobre 1943 avec la libération de la Corse à la fin de la guerre pour les poches de l’Atlantique, constitue un événement éminemment politique. Il marque la fin de l’occupation et efface de ce fait l’humiliation de 1940 et ouvre une nouvelle séquence politique riche d’hypothèses sur les voies à suivre. La fin de la séquence, 1953, regroupe une série de faits, symboliques ou bien réels, qui closent les années pendant lesquelles furent confrontés, dans l’Etat comme dans les forces politiques, le PCF tout particulièrement, des forces de renouveau et des forces de restauration.

Déjà l’année 1952 avait ouvert la voie. Symboliquement, les disparitions du roi d’Angleterre GEORGE VI en janvier et un mois plus tard celle du général de LATTRE de TASSIGNY, voient s’effacer deux figures majeures de la guerre. En France, plusieurs faits politiques indiquent que le temps des espoirs de rupture est clos. Dans la mouvance communiste, le journal Action qui, au delà de ses contradictions internes, avait constitué un lieu de pensée en partie dégagée des carcans staliniens, est supprimé. Au sein d’un Mouvement de la Paix, instrumenté depuis Moscou, mais où d’authentiques progressistes avaient cru trouver une organisation susceptible de rompre l’effrayante logique de la guerre froide, l’appareil du PCF engage la lutte contre les neutralistes, comme Pierre COT et Yves FARGE. Alors que cet appareil s’enferre dans une alternance entre l’aventurisme de la manifestation contre la présence à Paris du général RIDGWAY et l’opportunisme des replis tactiques opérés après son échec et la rocambolesque “ affaire des pigeons ”, se prépare en sous-main “ l’affaire MARTY-TILLON ”. L’exclusion du premier, bien plus encore la mise à l’écart du second, signalent à ceux qui ne s’en seraient encore pas aperçus que pour la direction communiste, “ la page de la Résistance est tournée ” 1 . L’exclusion de Georges GUINGOUIN, le quasi mythique “ préfet du maquis ”, en 1952, l’éloignement de toute responsabilité de chefs résistants comme PANNEQUIN l’année suivante, vont dans le même sens. D’une certaine façon, pour ce qui est de liquider une partie de l’héritage résistant, le PCF est en phase avec ses adversaires de droite : au sein du pouvoir gouvernemental, l’année 1952 a vu pour la première fois arriver un personnel conservateur, ayant souvent été maréchaliste pendant la guerre, dont Antoine PINAY constitue l’archétype. Ce dernier, rejetant les “ sottises ” de la Libération, sait allier un conformisme idéologique absolu et des forces novatrices, technocratiques et néo-capitalistes, ce qui n’est pas sans rappeler d’une certaine façon le dispositif politique de Vichy, tout au moins lors de sa période initiale.

L’année 1953 clôt définitivement la séquence. L’événement majeur, en France, fut constitué par le vote d’une troisième loi d’amnistie, succédant à celles de 1947 et 1951. La loi n° 53-681 du 6 août 1953 était l’aboutissement de débats prolongés et souvent vifs et de pas moins de six projets successifs 1 . En rétablissant dans leurs droits la quasi totalité des épurés non encore amnistiés, en ouvrant les portes des prisons à bon nombre de ceux qui y étaient encore enfermés alors que, nous le verrons, y restaient d’anciens résistants, cette loi tirait un trait sur le bilan de la collaboration et sur l’épuration qui suivit. Certes, elle incluait les précautions de langage d’un premier article qui rendait “ hommage à la Résistance ” et affirmait que l’amnistie n’était pas ‘“ une critique contre ceux qui, au nom de la loi, eurent la lourde tâche de juger et de punir ”’, mais le mal était fait. L’amertume de bon nombre de résistants n’était certes pas nouvelle. Depuis bien longtemps, souvent depuis 1946, ils avaient pu constater une dissymétrie croissante de la part de certains tribunaux entre les procès de collaboration et ceux de résistants, mais la loi tirait un trait quasiment définitif et brisait un processus épurateur inachevé, partiel et partial.

Bien d’autres événements de 1953 manifestent qu’une séquence est close, que définitivement les données qui organisent la réalité nationale et internationale sont principalement celles de l’après-guerre. A l’Est, plus que la mort du “ petit père des peuples ”, les soulèvements ouvriers en RDA et les changements au sein du pouvoir en Hongrie ouvrent une nouvelle période. En France, une majorité se rassure avec l’homme tranquille de Saint-Chamond, tente d’oublier le drame indochinois ; au sein de l’appareil du PCF se poursuit le travail de marginalisation de ceux qui furent “ trop résistants ” 2 et persistent à rester des rebelles.

Notes
1.

J.P. RIOUX, La France de la Quatrième République, t.2, Points Seuil Histoire, 1983, p. 17.

1.

H. LOTTMAN, L’épuration, Le Livre de poche, 1994, p. 532-535.

2.

A. PERNETTE, fils de H. PERNETTE, secrétaire fédéral du PCF à la Libération : “ A la Libération, au PC, il ne faisait pas bon avoir été trop résistant ”. Entretien. 10-03-1999.