UNE DEMARCHE A PLUSIEURS DIRECTIONS

L’organisation de cette démarche est dictée par les faits, plus exactement par les différentes formes prises par les difficultés rencontrées par des résistants de Bourgogne et la répression qu’ils subirent.

Préalablement, il convient de faire le point sur la situation politique au moment de la Libération. Il s’agit de vérifier si l’affirmation de Marc FERRO, cité en préambule de cette introduction est conforme à la situation locale. Tout particulièrement, il importe de discerner, derrière l’image de liesse populaire, quelles réalités matérielles, quels rapports de forces en constitution dessinent un contexte complexe, confus ; comment réagit la population face à ces réalités comme face aux formes que prit rapidement le phénomène d’épuration. Alors sera établi l’état des consciences, de l’opinion, dans les premiers mois de liberté, ce qui constitue le contexte au sein duquel se posa l’alternative politique, transformer ou restaurer.

La première dimension où les difficultés se manifestèrent, où l’échec politique fut patent, est celle du déroulement de la transition politique ; premier chronologiquement puisque le processus est amorcé dans la clandestinité dès l’été 1944, premier parce qu’il touche au cœur des enjeux politiques. Ce processus voit agir des hommes dont certains veulent une France renouvelée en profondeur, en s’appuyant sur les forces issues du combat clandestin et en faisant des structures provisoires de libération le cadre nouveau de la vie politique alors que d’autres n’ont de cesse que d’accélérer la remise en place des cadres anciens. Il conviendra alors de se demander comment ces forces contradictoires opérèrent, au sein des comités de libération, dans les cadres administratifs des sous-préfectures, mais aussi à l’intérieur de la force politique la plus vigoureusement renforcée, le PCF. L’hypothèse d’une défaite rapide des forces les plus novatrices au sein de ces différentes instances de pouvoir pourra alors être mise en œuvre. Il s’agira alors non d’établir les contours d’un autre possible, ce qui relèverait de la prospective et non de l’Histoire, mais de constater l’existence d’un espoir dans ce possible, d’en analyser la confrontation avec les contraintes du quotidien et les résistances des appareils installés à tout véritable changement.

Le troisième temps de ce travail est constitué par l’étude de l’intégration de FFI dans l’armée régulière, désignée par le vocable de l’amalgame à forte référence révolutionnaire, sur les conditions de leur engagement dans les batailles finales, dans leur rapport à la population comme aux questions politiques. Le choix d’intégrer cette dimension à la problématique d’ensemble n’est en rien incongru. Nonobstant le fait que la Bourgogne appartint alors aux régions françaises ayant le plus contribué à la constitution d’unités d’origine FFI, l’étude de la façon dont se fit cet amalgame, plus précisément quel y fut l’élément intégrateur et dominant, du rôle que jouèrent ces unités, en s’intéressant particulièrement à leurs difficultés lorsqu’elles étaient cantonnées loin d’un front qu’elles rêvaient de rejoindre, l’interrogation enfin du rôle “ en creux ” joué par l’éloignement des processus politiques intérieurs, en des moments décisifs, d’une partie certes minoritaire mais oh combien agissante de la jeunesse française, constituent bien un élément de la réflexion sur le devenir difficile de résistants.

Vient alors le moment de prendre en compte une dimension particulière, celle des procès de résistants. Alors que les uns sont engagés dans les structures de transition, que d’autres participent aux derniers combats de la guerre, s’amorce une dimension des règlements de compte d’après-guerre. Longtemps occultée ou ignorée, parfois réduite à quelques figures emblématiques comme celle de Georges GUINGOUIN, cette réalité soulève toute une série d’interrogations. Celles-ci portent particulièrement sur les aspects de la Résistance qui sont mis en cause, sur l’attitude des forces issues de la Résistance à l’égard des résistants jugés, sur ce que cela révèle des processus politiques en cours, enfin sur les formes particulières de mémoire générées par ces situations. Qu’ils portent sur des faits contemporains du maquis ou postérieurs à la Libération, les procès sont un puissant révélateur de la complexité de ce que fut ce combat, révèlent les difficultés de hors-la-loi à conserver une attitude conforme à des principes que leur ennemi et ses complices violaient délibérément. Par ailleurs, l’analyse de l’attitude des forces politiques, PCF en particulier, des associations d’anciens résistants face à cette répression, du contenu de leurs discours comme de leurs inflexions selon la conjoncture politique offrent un éclairage original sur la période. Enfin, la faible place de cette question dans les premières formes d’expression de la mémoire résistante exprime puissamment le type de figure résistante convenable qui est constituée par cette mémoire. A ce triple titre, comme à celui de restituer dans la totalité de leur réalité des hommes effacés, la question des procès de résistants constitue une dimension nécessaire de la démarche.

Alors il sera possible, en une dernière partie, de mettre ces strates apparemment distinctes en une cohérence qui est celle de la thèse qui sous-tend ce travail : celle d’une défaite de résistants qui présentaient des traits communs, et d’une certaine façon, plus ou moins brutale selon les cas, furent exclus, effacés, ou simplement minorés par les consensus successifs constitués autour de la mémoire résistante. Leur place dans cette mémoire, les fragilités et inquiétudes de celle-ci apparaissent alors comme les lointains échos de la défaite initiale.